Je suis né au Maroc, de parents musulmans, issus du village de Bhalil à quelques encablures de Séfrou, une ville où la population juive a toujours été égale ou supérieure à son homologue musulmane. De mes parents, j’ai reçu en héritage la sympathie naturelle et spontanée à l’égard de tout ce qui est juif sépharade, ma mère me disait « ah les commerçants juifs de Séfrou étaient si honnêtes ! », mon père rajoutait « quand les juifs étaient encore là, la ville comptait trois cinémas, deux bars et des vergers à perte de vue ; désormais, tout cela appartient au passé, ne subsistent que les souvenirs ».
En grandissant, en lisant, j’ai découvert une autre réalité qui n’invalide pas ces témoignages mais les place dans un contexte, disons, moins souriant. En effet, les juifs du Maroc ont toujours vécu dans la peur, coincés dans leur ghettos urbains et assignés à résidence à vie dans leur identité confessionnelle. Bien souvent, ils n’avaient pas le droit de se déplacer à cheval. A certaines époques, ils devaient porter des babouches rouges pour les distinguer des musulmans. Et toujours, ils ont dû leur sécurité au bon vouloir du Sultan. A la moindre défaillance de celui-ci, les ghettos (mellahs) étaient razziés et les portes des maisons israélites éventrées. Comme en avril 1912 où le mellah de Fez a été dévasté par la populace et la soldatesque mutinée. Bilan : une quarantaine de morts israélites, le chiffre aurait pu être plus élevé si ce n’est la mansuétude du Sultan Moulay Hafid qui a ouvert les portes de son palais aux juifs en fuite.
Charles de Foucauld, un militaire et explorateur français, a rendu compte de la condition juive au Maroc lors de son voyage incognito en terre chérifienne en 1883-84. Déguisé en rabbin (les catholiques étaient interdits de séjour), il a reçu des crachats, des jets de pierre et des insultes. Il a aussi été admirablement reçu et appuyé par des musulmans au caractère noble et altier dont le Hadj Bou Rhim à Agadir et un certain Sidi Idriss à Kasba Tadla. La question n’est pas de pointer du doigt le Maroc ou les musulmans, la question est de mettre en évidence la gestion de la diversité au Maroc précolonial. Une gestion très discutable puisqu’elle bafoue la dignité des juifs, une minorité désarmée et pacifique, et refuse ne serait-ce que la présence des chrétiens.
Le cas marocain ne différait pas de la situation ailleurs au Maghreb, de Djerba à Constantine en passant par Tlemcen. Pour utiliser des termes savants, nous pourrons dire que la civilisation maghrébine ne savait pas administrer la diversité. Ce constat valable au XIX° siècle prévaut encore de nos jours même si de grands progrès ont été enregistrés, le Maroc étant assurément le pays le mieux avancé en la matière. Cela dit, le Maghreb d’aujourd’hui n’accueille plus qu’une poignée de juifs et qu’une petite communauté d’expatriés et de touristes européens : la cohabitation avec des minorités de taille significative n’est pas à l’ordre du jour. Il n’y a plus véritablement d’enjeu.
L’enjeu est ailleurs, il a migré de l’autre côté de la Méditerranée : sur le sol français. Du fait de l’immigration de masse, le Maghreb s’est installé en France. Il y a plus d’un million de Marocains dans l’hexagone, autant de Tunisiens et au moins 2,6 millions Algériens. La civilisation maghrébine, qui s’est débarrassée de la diversité chez elle, la retrouve à Paris, à Sarcelles et à Strasbourg.
Si le voisinage avec les juifs était problématique à Fez ou Marrakech, imaginez ce que doit-être le vivre-ensemble avec des athées, des homosexuels assumés et des mères célibataires. Défi inédit pour la civilisation maghrébine, elle qui s’est habituée à l’uniformité sous la bannière de l’Islam et de la féodalité.
Les choses se passent mal, inutile de vous restituer ici la longue litanie de faits divers qui émaillent le quotidien des Français. Au-delà du terrorisme islamiste, je me réfère à ces agressions « banalisées » dans les transports et sur la voie publique où le voyou agit comme un ambassadeur de sa communauté pour dire « non ! », il dit non à l’altérité, non au vivre-ensemble, il donne des coups pour imposer ses règles du jeu, ceux de sa civilisation d’origine.
Le voyou, doté de deux neurones en général, n’a pas conscience de ce message politique. Il le délivre quand même. Et il le fait admirablement bien puisque les communautés se séparent petit à petit, le « jeune » effectuant un nettoyage ethnique du territoire par la peur et l’exaspération.
Les Français assistent à ce chamboulement les yeux écarquillés et crient : « halte aux inégalités ! » Ils allument des bougies et organisent des pièces de théâtre pour « apaiser » et « créer du lien », là où le sang de leurs enfants n’a pas encore séché.
Rarement un pays de Polytechniciens et de Normaliens aura été autant à côté de la plaque ! Rarement une nation équipée de la bombe atomique aura été aussi impuissante ! Tant que les Français ne comprennent pas ce qui se passe sur le terrain, ils seront condamnés à se faire casser la gueule chez eux et à se soumettre en silence.
Que se passe-t-il exactement ?
Tel est précisément l’objet de mon livre, publié récemment sous le titre : « De la diversité au séparatisme ».
Pour ne pas vous laisser sur votre faim, je vous proposerai de vous mettre à la place des “vrais gens”, ceux qui doivent vivre avec des voisins issus d’une civilisation différente. Ils vivent un enfer, alors que le système répète à l’envi la fable du vivre-ensemble harmonieux et paisible. Il s’agit probablement de la plus grande fake news des temps modernes.
« Le diable, c’est toujours autrui, l’autre civilisation. » disait Fernand Braudel. Le vivre-ensemble cause en effet de grandes souffrances par la simple juxtaposition de modes de vies différents. Pour un musulman rigoriste, une jeune européenne en mini-jupe et cheveux au vent est une provocation. Il aura du mal à percevoir que la mixité est un triomphe de la civilisation européenne et qu’elle fait partie d’un noyau non-négociable de celle-ci. Si les femmes sont cloitrées, l’Europe ne sera plus l’Europe. De manière similaire, pour un Français, une femme voilée peut constituer une offense à la laïcité. Déchristianisé depuis longtemps, il a perdu le contact avec la notion d’interdit religieux et de salvation de l’âme. La musulmane elle craint, en général, plus Dieu que la République, elle préfère son salut à la fidélité à Marianne. Comment lui en vouloir ? Elle est horrifiée par la « PMA pour toutes » et par l’extension illimité du champ de l’avortement en France (250000 IVG/an).
Autrui, quand il est présent en nombre sur le territoire constitue une contre-société. Il est un contre-exemple qui fait mal parfois. Il est la preuve vivante que mes concepts sont relatifs, que mes vérités sont discutables. Il en est l’antithèse. Il me prouve tous les jours qu’il est possible de vivre, de manger, de respirer, de travailler en mettant en pratique des valeurs qui ne sont pas les miennes et qui parfois me semblent farfelues. Le Sri-Lankais hindouiste qui vit dans une bulle communautaire en région parisienne est aussi heureux ou triste que le Parisien de souche, laïc et bobo. Les modes de vie sont équivalents dans un sens puisqu’ils rendent possible des existences normales sous les mêmes latitudes. Pour plusieurs, cela est un choc, une source de souffrance. Ils se trouvent parmi les Français de souche et les immigrés. La souffrance est bilatérale, elle est respectable, quelle qu’elle soit.
La Diversité dont se gargarise l’establishment est devenue la Diversité des contentieux, un drame qui pourrit la vie des Français et des immigrés. Ces contentieux vont bien au-delà du simple problème religieux. En effet, plusieurs forces centrifuges écartèlent la société française pour en faire un grand corps malade en voie de dislocation: choc des mentalités, contentieux au sujet de la manière dont la société doit être gouvernée, poursuite des guerres coloniales sur le sol français etc.
Des solutions existent. Mon livre les recense et propose une feuille de route réaliste et praticable pour les mettre en œuvre. Rendez-vous sur www.drissghali.com/ebook et faites-vous votre propre idée en lisant gratuitement le premier chapitre.
Article publié à l’origine sur Times of Israel, le 21/07/2021
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