Est fini le temps où l’on exposait de belles fesses rebondies pour vendre un parfum ou un abonnement à une salle de sports. Est finie l’époque où l’on confiait à une belle hôtesse aux formes généreuses la promotion d’une marque de bière. Les marques ne veulent plus séduire, elles n’ont plus la tête à batifoler, quelque chose a changé dans le capitalisme. Le capitalisme de séduction, admirablement décrit par Michel Clouscard dans les années 1970, s’efface devant le capitalisme de punition.
Jouir n’est plus à l’ordre du jour. Faire la fête est désormais un acte « terroriste », qui met en danger la vie d’autrui. La pandémie a accouché d’une nouvelle forme de capitalisme qui était en gestation depuis longtemps, une manière de voir dans le client un suspect voire un ennemi qu’il convient de garder à distance (« sans contact »), de surveiller (« QR code ») et de maltraiter soit physiquement soit moralement. On l’oblige à porter un masque en permanence, à marcher tout seul dans les magasins, à suivre des parcours clients infantilisants et inutilement longs, entre autres vexations. Et bien sûr, ces brimades s’accompagnent d’une hausse généralisée des prix, histoire de faire mal au portefeuille après avoir fait mal aux corps et aux narines (au moyen de l’ignoble viol nasal dit test PCR).
Le mot d’ordre est très simple : « consomme et tais-toi ». Ce commandement dérive du mantra général de notre époque qui se résume à ces quelques mots : « cherche pas à comprendre et ferme ta gueule ».
La vaccination obligatoire ou quasi-obligatoire est la quintessence de cette mutation du capitalisme. Le citoyen est forcé de se vacciner tous les trois mois, donc de « consommer » à intervalle régulier puisque chaque injection rapporte dans les 20 euros à Pfizer pour ne citer que cette entreprise à la pointe du capitalisme de punition. Peu importe le principe de précaution ou le code de Nuremberg, la consommation est obligatoire comme dans une boîte de nuit où l’accès est conditionné à l’achat d’un cocktail facturé à 20 euros (les libertins penseront avec moi au terrible barème des prix des bars à hôtesses de Pigalle où plusieurs naïfs ont perdu leur solde pour une bouteille de champagne surfacturée…).
Tout a commencé en 2001 me semble-t-il, juste après le 11 Septembre. Souvenez-vous du virage à 180 degrés entrepris par les transporteurs aériens et les autorités aéroportuaires. Du jour au lendemain, le passager est devenu un suspect en puissance qu’il convient de mettre littéralement à poil à chaque embarquement. Les aéroports sont devenus des véritables zones de non-droit où la dignité humaine est mise entre parenthèses. A ce titre, il conviendrait de rajouter Roissy-CDG et Orly à la longue liste des territoires perdus de la République ou ni la Constitution ni la Déclaration des Droits de l’Homme n’ont droit de cité. Dans ces endroits, impossible de s’indigner ou de s’offusquer car on risque de se faire expulser et de perdre son vol.
A bord de l’avion, la maltraitance est de mise bien évidemment. Petit à petit, nous avons vu le menu se rétrécir, les espaces entre les sièges se comprimer et les droits des passagers s’étioler comme les pétales d’une rose au soir de sa vie. Désormais, il paraît qu’il est même interdit de se restaurer en plein vol. Très bien, la prochaine fois on nous obligera peut-être à voler à quatre pattes pour éviter la contamination et optimiser la charge de l’aéronef, histoire de consommer moins de kérosène et donc émettre moins de CO2.
L’aviation commerciale a manifestement inspiré d’autres secteurs économiques. Il suffit de déambuler dans une gare française ou de monter à bord d’un train pour noter que le client est devenu un suspect voire un ennemi. Aux yeux de la SNCF ou de la RATP, il y a belles lurettes que le client est tombé de son piédestal. Tout le monde l’évite (à commencer par les employés qui se barricadent derrière leurs guichets blindés), tout le monde lui fait la morale (à coup de messages sur la protection de l’environnement affichés sur des lecteurs LED surpuissants). La politique de nombreuses entreprises de transport consiste à faire passer un sale quart d’heure à leurs clients, comme s’il fallait leur faire peur, les affamer et les assoiffer pour ne pas avoir à leur offrir ce qu’ils méritent : une expérience satisfaisante à bord, avec des WC propres, des sièges confortables et un sourire bienveillant.
Surveiller et punir
Mon propos n’a rien de révolutionnaire, d’autres ont mis en garde contre la dérive du capitalisme dont la chercheuse américaine Shoshana Zuboff qui fustige depuis une dizaine d’années le Capitalisme de Surveillance. Cela dit, je crois que la question n’est plus de nous surveiller (c’est déjà fait grâce aux réseaux sociaux), l’enjeu du moment est de nous maltraiter et de nous faire aimer la maltraitance au nom du virus ou du respect de l’environnement ou du bien-être des baleines dans l’Arctique.
Après l’ouvrier et l’employé, c’est au tour du consommateur de se faire broyer. La violence est non seulement physique mais aussi symbolique. Certaines marques traitent leurs clients tels des délinquants qu’il convient de remettre sur le droit chemin manu militari. Ils sont d’office suspectés de racisme, de machisme, d’homophobie et de tout type de comportements « toxiques ». Ils sont invités à faire amende honorable et à renoncer à leurs péchés comme troquer le moteur diesel par une trottinette électrique.
Il est littéralement permis de se moquer du client voire de l’humilier. Aux Etats-Unis, Coca Cola a appelé ses consommateurs à être « moins blancs » (to be less white). Au Brésil, Burger King a mis en scène des gamins qui font la leçon à leurs parents au sujet des sexualités LGBTQIA. On y voit des enfants qui expliquent aux adultes ce que gay et lesbienne veut dire. Ce n’est plus de la déconstruction à ce stade, c’est du dynamitage de l’autorité parentale ! Tout cela pour vendre des frites XXL…
L’espoir réside au sud
A force de fustiger la montée des inégalités, nous avons perdu de vue la transformation du capitalisme libéral en un monstre tyrannique. Le libéralisme n’est plus libéral, il est devenu autoritaire et punitif. Il surveille d’un côté et punit de l’autre. Il remplit un vide, l’Eglise ayant renoncé à donner du sens et à guider les âmes. Il se substitue aussi aux leaders politiques qui n’ont plus rien à dire à la société par manque de culture générale. Il remplace bien sûr le chef de famille, dévitalisé par le féminisme d’un côté et la racaille de l’autre. Le voyou lui enseigne, chaque jour, qu’il n’est rien d’un autre qu’un sous-homme qui doit baisser les yeux pour avoir la vie sauve. Alors, il consomme et il ferme sa gueule.
L’espoir subsiste malgré tout. Et il vient peut-être du sud de la Méditerranée, dans ces cultures fâchées de longue date avec la productivité, le travail et la discipline. L’Islam par exemple se complait dans une économie inefficace, qui produit peu et n’innove pas du tout. L’Afrique bien sûr résiste au capitalisme par son système de valeurs antinomiques à la notion d’accumulation du capital. Le sous-développement de l’Afrique est en réalité une résistance au capitalisme, car pour se développer il faut accepter de se transformer c’est-à-dire renoncer au clientélisme, au tribalisme et à la gabegie. Les cultures et les sociétés qui nous font horreur habituellement par leur faible productivité et leur archaïsme sont peut-être le substrat dans lequel on construira une alternative au capitalisme de punition. Nous n’avons pas besoin de nous tiers-mondiser pour résister, mais il convient peut-être d’introduire quelques grains de sable dans le mécanisme fragile du nouveau capitalisme. Une sorte de sabotage ou de grève du zèle du consommateur qui soudain trouve le moyen de punir l’entreprise qui le maltraite ou le prend de haut. Je n’ai rien à proposer concrètement, mais je suis certain qu’il est possible de renverser la vapeur en détruisant la rentabilité économique des entreprises qui ont choisi de nous maltraiter au lieu de nous respecter.
Driss Ghali
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