Depuis la Seconde Guerre Mondiale, la race est un tabou. Associée aux horreurs du nazisme, elle a été extirpée du champ politique et intellectuel. Ensevelie sous les ruines des idées mortes, elle est le composant radioactif par excellence dont il convient de se tenir à bonne distance.
Les choses sont en train de changer. Elles ont déjà changé à vrai dire. La fameuse Diversité, chantée sur tous les plateaux de télévision, signe le retour camouflé de la race dans les cœurs et les esprits. Sauf que désormais la race blanche est synonyme de repentance, et les autres races sont associées aux traumatismes de l’esclavage et de la colonisation. L’une est perçue avec suspicion, les autres avec empathie. Les races sont donc de retour et la hiérarchie des races aussi.
Ce retournement est présenté sous les meilleurs auspices possibles, puisqu’il est question de corriger les inégalités et de lutter contre les discriminations. On recommence donc à classer les gens selon leur appartenance à une race, pour des « bonnes raisons ». On remet la couleur de la peau au premier plan alors que nous avons eu collectivement tant de mal à juger les individus selon les seuls critères du mérite et du caractère.
La race est désormais omniprésente. Dans les panneaux publicitaires de la RATP, sur les écrans de Netflix et dans les défilés de mode : toujours la même mise en scène du couple interracial, toujours le même acte d’accusation à l’égard du « privilège blanc ».
Même l’écologie s’y met. Sandrine Rousseau a comparé récemment faire de la politique avec ses semblables à « faire de la politique dans des groupes du Klu Klux Klan ». Hallucinant !
Dans un registre plus positif et moins « pathologique », souvenez-vous de l’extase qui a saisi l’Occident à la nouvelle de l’élection de Barack Obama, premier président noir des Etats-Unis. Sans attendre de voir les résultats de sa politique, un prix Nobel lui a été décerné, parce qu’il est noir (à vrai dire métis). Heureusement, Obama a été un bon président, démontrant des qualités intrinsèques bien plus nobles et décisives que la pigmentation de sa peau.
L’obsession pour la race est si puissante qu’elle évoque l’obsession pour le sexe qui imbibait le monde de la publicité au tournant des années 2000. A l’époque, pour vendre une bouteille d’eau minérale, il fallait recourir à des allusions grivoises. De nos jours, pour faire la même chose, il faudrait célébrer la créolisation et s’essuyer les pieds sur le suprématisme blanc.
Nous assistons à un retour du refoulé. Ou plutôt à un véritable Printemps des Races. Faut-il s’en désoler ou bien s’en réjouir ? Mon cœur balance.
Si le racisme est ignoble, l’existence du fait racial me semble couler de source. Il est possible peut-être de tout recommencer et de rebâtir l’antiracisme comme un humanisme et non comme un négationnisme. Un humanisme embrasse l’homme tel qu’il est, ce qui inclut sa race. Un négationnisme consisterait à nier l’existence même du fait racial.
Mais, qu’est-ce que la race veut dire ? Voilà un concept bien difficile à cerner.
Chez certains, la race est synonyme de peuple (au XIX° siècle, on parlait de « race française », contrepoint à la « race allemande »), chez d’autres la race relève de la civilisation ou encore de la couleur de peau.
L’ancien leader politique angolais, Jonas Savimbi (1934-2002), a eu des paroles très sages sur la question de la race, en se référant à la négritude. Il disait en somme que la négritude « apporte des valeurs culturelles qui garantissent une identité propre aux peuples africains ou d’origine africaine, pour qu’une fois mis en relation avec d’autres cultures, ils ne soient pas absorbés par elles, mais bien au contraire qu’ils s’enrichissent à leur contact et leur transmettre leurs propres valeurs. »
Selon moi et m’inspirant librement de Savimbi, je dirais que la race est un rappel, un ultime rappel, porté à même le corps dans notre rencontre inéluctable avec les autres civilisations. La race nous rappelle que d’autres nous ont précédés, qu’ils ont eu des succès et des échecs dont nous sommes, en quelque sorte, les dépositaires. Ils ont eu à régler des problèmes spécifiques (à un environnement, à un continent) et ils l’ont fait ensemble sur la longue durée, sur la très longue durée même. Leur histoire ne nous oblige pas, on peut la poursuivre ou pas. La race nous informe tout simplement que nous ne sommes pas seuls. Si nous le voulons, nous pouvons tendre l’oreille et écouter les voix, les cris et les murmures de ceux qui nous ont précédés et engendrés. On y trouvera certainement des enseignements qui nous rendront utiles à autrui et dans le contact avec autrui : c’est ce que propose Savimbi avec son concept de négritude. On peut aussi décider de composer une symphonie avec d’autres voix, d’autres cris et d’autres murmures : c’est le principe du métissage.
Dans tous les cas, la race est là pour baliser le chemin. Elle dessine en pointillés des permanences, bonnes ou mauvaises, mais qui sont les nôtres. Elles ne nous emprisonnent pas, elles sont juste là sous nos pieds comme une rivière souterraine. Si nous voulons boire son eau, il suffit de creuser un puits. Si nous voulons boire à une autre source, toute la responsabilité nous en incombe. Il n’y a pas de bon ou de mauvais choix. L’essentiel est d’être conscient de ce que l’on fait. Et pour cela, il faut savoir qui nous sommes, chacun à titre individuel. Il faut être conscient de sa race.
Tenez, moi, je suis un Arabe. Je ne suis pas Berbère et encore moins Turc. En moi, que je le veuille ou non, se bousculent les poèmes épiques des grands poètes sémites et les stances du livre sacré de l’Islam. Mis devant un bédouin d’Irak, je reconnais spontanément un frère. Je vois l’invisible : cette séquelle clandestine laissée par l’émotion de la fuite dans le désert, chassé de chez soi par la loi du plus fort ou par la perfide intrigue. Quoi que je fasse, ces sons étouffés et ces images brouillées forment le fond du fond de mon inconscient. Très bien, je reconnais ces « passagers clandestins », je leur rends hommage, et j’avance. Je leur parle parfois, ils ne me répondent presque jamais, mais savoir qu’ils m’entendent me fait du bien. Et je crois qu’ils ne m’en veulent pas trop d’avoir choisi la voie du métissage.
Le Berbère, lui, entend une autre « musique d’ambiance » dans sa tête. Le Turc aussi. Le Slave également. Et tant mieux ! C’est ça la Diversité !
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