Extrait de mon livre: Une contre-histoire de la colonisation.
Le devoir de repentance ne résiste pas à l’examen le plus élémentaire.
Tout d’abord, la culpabilité ne se transmet pas d’une génération à une autre. Tout comme la punition ne peut être collective, il s’agit d’un principe élémentaire du Droit. Il n’y a donc aucun sens à vouloir punir tous les Français au nom de crimes commis par leur Etat (punition collective), il y a cent ans (transmission de la culpabilité).
D’autre part, les Français, en tant que peuple, n’ont jamais adhéré en masse à l’idée coloniale. Celle-ci était une idée de l’élite agglomérée autour du parti colonial. Ils n’étaient pas au courant de la vie quotidienne dans les colonies, des atrocités et de l’apartheid réservé aux indigènes. Les premiers grands récits des abus endurés par les colonisés sont relativement tardifs, ils remontent pour la plupart aux années 1920 (Albert Londres, André Malraux et Andrée Viollis etc.). Et encore, ces récits ont été noyés dans la propagande officielle qui était fondamentalement colonialiste.
Si on accepte que le peuple français soit puni aujourd’hui pour les crimes des administrateurs coloniaux du siècle passé, il faudra s’attendre à ce que nos enfants et petits-enfants soient punis dans trente ou quarante ans par les Libyens au nom des crimes commis par Sarkozy-BHL en 2011 ? Tel est le niveau d’absurdité du devoir de repentance.
Enfin, quelle est cette société où la vertu cardinale est le ressentiment ? Il n’y a rien de noble à maintenir le corps social sous pression permanente, polarisé entre ceux qui ont des choses à se reprocher (les Blancs) et le reste qui jouit d’une immunité de naissance ? Une société respectable pratique le pardon et non la repentance. Elle est suffisamment sage pour oublier. Elle est tournée vers l’avenir et non arc-boutée sur le passé. Elle marche vers la cohésion, la solidarité et la gloire au lieu de camper autour de ses cicatrices.
Et entre nous soit-dit, que penser d’une société prompte à pardonner violeurs et assassins et qui se crispe lorsqu’on lui demande de laisser en paix ses aïeux quoi qu’aient été leurs crimes ?
Si le devoir de repentance était élargi aux relations entre Etats, il n’y aurait plus de diplomatie. La guerre serait le lot commun de tous les pays. Imaginez une France qui ne pardonne pas à l’Allemagne, l’impact serait fatal sur la construction européenne puisque « tout » a commencé avec la réconciliation franco-allemande.
Le refus du pardon (l’autre nom du devoir de repentance) a déjà causé de nombreuses guerres au Rwanda où Hutu et Tutsi vivent prisonniers des crimes commis par leurs ancêtres. Le génocide des années 1990 est la conséquence directe d’une mémoire conflictuelle entretenue à vif par des manipulateurs. L’histoire récente du Libéria et de la Sierra Leone est teintée de sang parce que les noirs indigènes ne pardonnent pas aux descendants des esclaves affranchis de les avoir opprimés pendant un siècle. Haïti est une catastrophe en partie parce que les mulâtres et les noirs se détestent. Rappelons que le sinistre Duvalier (Papa Doc) pratiquait le noirisme, une sorte de préférence ethnique visant à réparer les offenses commises par les mulâtres sur les noirs.
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Il faut pratiquer un sens bien particulier de la justice pour limiter le champ de la repentance aux relations entre l’Occident et ses anciennes colonies. Pourquoi ne pas s’agenouiller devant les 600 000 Allemands morts de faim à cause du blocus naval franco-anglais lors de la guerre 1914-1918 ? Ne sont-ils pas des hommes, des femmes et des enfants tout comme les victimes innocentes de la répression coloniale ?
Au fond, le champ d’application de la repentance devrait être universelle ou ne pas être. Les Russes devraient s’excuser pour les centaines de milliers de viols commis sur les femmes allemandes en 1945. Les Alliés devraient payer des réparations à l’Allemagne au nom des millions d’Allemands déplacés manu militari de leur lieu de vie après mai 1945 : ils vivaient auparavant en Ukraine, en Biélorussie, en Hongrie, en Roumanie, dans les pays baltes etc. Ces mêmes Alliés devraient faire pénitence à Dresde, Hambourg et Tokyo villes martyrs bombardées par des bombes incendiaires visant les civils avant tout. Et que dire des deux bombes nucléaires jetées sur le Japon ?
Vous voyez bien que le monde cesserait sa marche et se transformerait en un énorme mur des lamentations où convergeraient les pleurnicheurs, idiots utiles des apôtres de la guerre.
Les militants indigénistes devraient se méfier de leur doctrine car il est facile de la retourner contre eux. Si un jeune des cités exige la repentance de l’Etat français, qu’est-ce qui empêcherait un fils de harki d’exiger la repentance du consul algérien à Paris ? Rien ! Après tout, les harkis ont été étripés et brûlés vifs après l’indépendance alors que le FLN s’était engagé à garantir leur sécurité.
Dans la même veine, rien n’empêche les descendants des pieds-noirs trucidés à Oran en juillet 1962 (comme tant d’autres) d’exiger des excuses officielles des autorités algériennes.
Et pourquoi s’arrêter en si bonne route et oublier l’injustice commise par la France sur les fidèles goumiers et tirailleurs ? Ces soldats arabes et noirs ont été traités avec ingratitude par la bureaucratie militaire après la guerre. Mon grand-père gagnait une misère alors qu’il a passé quatre ans dans un stalag nazi. Dédommager les anciens combattants comme il se doit serait un beau pied de nez aux indigénistes leur rappelant qu’il n’y a jamais eu d’unanimité parmi les indigènes contre la France.
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