Les islamistes partagent avec les modernistes arabes autoproclamés une même vision tronquée de l’Occident. Ils n’ont pas compris le véritable génie occidental : la Liberté. Telle est la matière première, le sang qui coule dans les veines de la civilisation dominante. Elle lui doit sa vitalité.
Le Crépuscule d’une civilisation. Manuscrit à la recherche d’un éditeur. Extraits.
Si ni Socialisme, ni Baathisme, ni Nationalisme, ni Libéralisme n’ont réussi à redresser le monde arabe, qu’en est-il de l’Islamisme alors ? Je me réfère à la pensée politique qui s’appuie sur l’Islam comme inspiration des lois et des valeurs. Bien entendu, mon propos ne s’étend pas aux idiots qui posent des bombes. En effet, les terroristes ne perdent pas leur temps à penser au bien-être de leurs concitoyens ni à l’équilibre de la balance commerciale….
En premier lieu, les islamistes ont le mérite de percevoir que la renaissance arabe n’adviendra que si l’on s’attelle sérieusement à changer les mentalités. Ils ont été les premiers (les seuls peut-être) à comprendre qu’il ne suffit pas s’implanter des antennes 3G pour augmenter le niveau de vie. De tous les acteurs de l’échiquier politique arabe, ce sont les plus clairvoyants dans un sens. Ce sont les seuls qui mettent la priorité sur les Valeurs. Ils affirment tous qu’il faudrait réussir la révolution morale avant d’entamer la réforme socio-économique. Ils ont raison. Une société corrompue ne peut pas améliorer le sort de ses membres sauf si elle fait un incroyable effort de productivité (seule la Chine semble y parvenir pour le moment).
Mais, le mérite des islamistes s’arrête ici. Comme tous les autres, ils ont raté l’évidence à savoir que les Arabes tolèrent l’incompétence, méprisent le mérite et baignent dans l’hypocrisie. Il ne sert à rien de déclarer la guerre à la corruption si l’ensemble des acteurs impliqués dans ce combat sont incompétents et jouent double jeu. Ce serait verser de l’eau sur du sable que de demander à une société largement inefficace de se priver de la fraude et de la malversation. Au pire, elle se rebellera contre le pouvoir en place. Au mieux, elle va feindre de collaborer mais continuera à voler et frauder en cachette.
Une société qui n’est pas suffisamment productive n’abandonnera pas la corruption. Il s’agit de la survie de ses membres. Les islamistes ne l’ont pas compris. A aucun moment, leur programme n’entrevoit la nécessite impérieuse de transformer les sociétés arabes en véritables sociétés du savoir. Ils n’arrivent pas à imaginer une communauté fondée sur le Mérite, la Rigueur et l’Honnêteté. Rien de plus moral (et religieux) que de s’efforcer à bâtir une société comme celle-là. Telle serait une belle définition de la Vertu, un terme que les islamistes usent à tort et à travers (Al Fadilah). La Vertu dont le monde arabe a besoin est celle qui récompense ceux qui travaillent et punit ceux qui choisissent la voie de la fraude et du pillage. Une vertu qui donne à manger à tous et qui ouvre des opportunités à nos jeunes. Au lieu de cela, les islamistes proposent une vertu stérile : elle s’occupe de la braguette des hommes, de l’utérus des femmes et du nombre de prières effectuées chaque jour. Quel gâchis !
Malheureusement pour eux, les islamistes partagent avec les modernistes arabes autoproclamés une même vision tronquée de l’Occident. Ils n’ont pas compris le véritable génie occidental : la Liberté. Telle est la matière première, le sang qui coule dans les veines de la civilisation dominante. Elle lui doit sa vitalité. Michel Foucault (1926-1984) explique que le modèle politique qui émerge en Europe après 1750 est en mesure de créer, susciter, diffuser et soustraire de la liberté. A cette époque, une véritable économie de la liberté émerge en Europe et dans les colonies d’Amérique du Nord. Elle trouve son catalyseur dans le couple liberté-sécurité. Le gouvernement arbitre à chaque instant entre ces deux pôles, essentiels l’un comme l’autre à l’être humain. La vraie « pierre philosophale » de l’Occident c’est d’administrer d’une manière efficace le conflit ente la liberté de l’individu et la sécurité du collectif. Le savoir-faire du gouvernement se manifeste dans le dosage toujours évolutif entre l’autonomie de chacun (à entreprendre, à voyager, à s’exprimer, etc.) et la préservation du bien d’autrui (respect du droit à la propriété, inviolabilité du domicile, etc.).
Prenons un exemple concret, pour illustrer ce point essentiel. Si nous sommes libres d’aller et venir alors mon voisin pourrait s’estimer en droit de traverser mon jardin ou mon champ comme bon lui semble. C’est pour cela que la loi stipule avec vigueur la suprématie du droit de propriété (dès la Révolution de 1789 dans le cas français). Autrement dit, mon voisin peut se balader à souhait mais je peux l’empêcher de pénétrer dans ma propriété et l’Etat est garant de mon droit. Cette conception, qui aujourd’hui semble naturelle, est une invention proprement occidentale et elle date de l’époque des Lumières.
Les Occidentaux ont eu une longue intimité avec le concept de Liberté. Ils ont en fait un fondement capital de leur existence. Comprendre l’Occident c’est mesurer très précisément que cette civilisation vit sur un équilibre toujours dynamique entre liberté et sécurité. Gouverner en Occident c’est naviguer intelligemment entre ces deux pôles (alors que l’on disait que gouverner au Maroc c’était pleuvoir)[1].
En réalité, la gestion de la liberté par les Occidentaux a nécessité la création de véritables technologies du Pouvoir. Foucault explique comment la question de la Folie a émergé opportunément au XVIIIe pour immiscer l’Etat dans un domaine qui ne l’avait jamais intéressé auparavant. Le gouvernement a gagné le droit de dire qui est malade et de décréter son exclusion de la vie publique par l’enfermement en asile. Au moment où la Liberté balayait les derniers vestiges des sociétés anciennes, brutales et répressives, l’Etat a créé un savoir-faire pointu pour intervenir au plus profond des citoyens (santé mentale, santé sexuelle, etc.). Cette révolution dans la Politique (c’est-à-dire dans la manière de contrôler un corps social) a lieu quelque part entre 1750 et 1850.
Les islamistes ont raté ce point essentiel. Ils n’ont pas bien compris l’essence de la civilisation occidentale. Ils sont obnubilés par la liberté sexuelle qu’elle promeut et ne perçoivent pas la sophistication du système politique édifié en Europe et aux Etats-Unis. Dans un des premiers écrits de Hassan al Banna, le fondateur des Frères Musulmans, il donnait des conseils aux étudiants égyptiens en mission à l’étranger : « méfiez-vous des Occidentaux car ils vivent immergés dans le péché ». Dommage qu’il ne leur ait pas demandé d’étudier Rousseau et Tocqueville et les faire traduire en Arabe !
Sans adopter la méthode de gouverner à l’occidental ni proposer de modèle alternatif, les islamistes nous condamnent à vivre dans un aquarium. Comme des poissons rouges enfermés dans un bocal, les Arabes évoluent dans un monde amputé de plusieurs dimensions. Ils sont abasourdis par les interdits et les prohibitions. Tout est tabou. Le programme des islamistes pour les Arabes est le projet d’une existence tronquée. Tu peux utiliser facebook si tu veux mais tu n’as pas le droit de penser par toi-même ni de disposer de ton temps comme bon te semble car tu es attendu à la mosquée cinq fois par jour. L’horizon des islamistes est une modernité castrée. Les Arabes ont le droit d’importer des Iphones mais on leur enlève la moindre chance de les créer. Le programme des islamistes empêche quiconque de s’épanouir et encore moins d’innover. Comme le maoïsme réel, celui appliqué en Chine sous la Révolution Culturelle[2], l’islamisme a besoin d’une société hypocrite où la délation règne en maitre. Dans leur monde idéal, des esprits les plus brillants on attend des signes de piété. Jamais, on ne leur demandera d´éblouir l’Humanité par leur talent, leur imagination et leur courage. Aucun imam fondamentaliste n’appellera les musulmans à créer un vaccin contre le HIV ni un médicament contre le cancer. Il passera des veillées entières à discourir sur les conditions nécessaires pour qu’une femme enceinte soit dispensée de jeûne pendant le Ramadan. Il consacrera toute sa verve pour justifier l’âge minimum licite pour pratiquer une relation sexuelle sur une jeune fille[3]. En effet, l’Excellence est étrangère au mode de vie promue par les islamistes, ce qui compte c’est le conformisme et la soumission. Ils perdent leur sommeil s’ils apprennent que leur voisin n’a pas fait le Ramadan mais s’accommodent parfaitement à l’idée de ne voir aucun musulman remporter le prix Nobel de médecine. On pourrait dire la même chose des Jeux Olympiques ou des grandes compétitions sportives internationales.[4]
Pourquoi les islamistes échouent-ils à appréhender l’importance du couple liberté-sécurité chez les Occidentaux ? Peut-être est-ce dû à la formation de leurs cadres dirigeants, tous des matheux qui ne brillent pas par leur culture générale. Cela peut paraître troublant car la vulgate veut que l’islamiste soit plutôt issu d’un cursus d’études religieuses. Faux. La plupart des leaders des mouvements islamiques sont des ingénieurs qui ont étudié des maths à profusion et rien que cela. S’insèrent notamment dans ce profil, l’égyptien Mohammed Morsi[5] (Frères Musulmans), le palestinien Khaled Mechaal[6] (leader historique du Hamas) et l’algérien Abdelkader Hachani[7] (fondateur du Front Islamique du Salut). Au Maroc, la majorité des militants des organisations islamiques sont issus de facultés scientifiques[8].
La malchance qui pèse sur le monde arabe semble vouloir que ses élites technocratiques soient majoritairement issues des rangs des matheux et des ingénieurs. Comme si le problème essentiel du monde arabe était poser des pipelines !
Etudier les maths en soi n’est pas un problème. Mais, sélectionner les étudiants selon les mathématiques, comme c’est le cas dans plusieurs pays arabes, est sans aucun doute une ineptie. Aujourd’hui, le système éducatif expulse des filières porteuses les étudiants qui savent analyser un texte et s’exprimer clairement. Les jeunes qui disposent d’une culture générale et d’un esprit critique ne sont pas reconnus par l´école arabe. Bien au contraire, la priorité est donnée à l’étude des mathématiques selon une approche « barbare » qui ignore la curiosité inhérente à la science et recherche plutôt à faire souffrir l’élève. Aujourd’hui, un lycéen marocain ou tunisien étudie des notions de mathématiques qui s’enseignent en France au niveau de l’université. A cet élève on n’apprendra jamais à mettre en exergue un article de presse et à douter des intentions de son auteur. On ne lui enseignera pas à écouter, à faire l’effort d’entendre les arguments de la partie adverse avant de former sa propre opinion. A 18 ans, il sera convaincu qu’il détient la vérité et qu’il raisonne correctement puisqu’il a étudié des équations de second degré. Il confondra la logique avec la résolution de problème d’algèbre, la rigueur intellectuelle avec la frustration. Une fois à l’université, un « mentor » aura très peu de mal à le persuader de mettre son « esprit logique » au service de sa foi. Cet ingénieur ou ce docteur en physique, dont l’éducation aura coûté des dizaines de milliers de dollars à la collectivité n’inventera jamais rien. Toute sa vie, il sera sourd à la complexité du monde et l’arrogance de sa pseudo-science l’éloignera à jamais du chemin de la tolérance et du pluralisme. Ses semblables en Californie enverront des satellites dans le ciel, lui il va consacrer sa vie à légiférer sur le nombre de centimètres de la jupe de sa fille.
[1] Une expression attribuée à Théodore Steeg, Résident Général au Maroc de 1925 à 1928.
[2] Débutée en 1966, la Révolution Culturelle a achevé de ruiner la Chine en s’attaquant à ses milieux intellectuels et en vidant ses universités de leurs cadres. Elle a inversé les valeurs en exaltant l’ignorance et l’intolérance. Durant cette période et plus que jamais, Mao exigeait de tous une soumission totale, peu importe la rationalité économique ou la dignité humaine. Le cauchemar s’achèvera en 1976.
[3] Malheureusement, internet regorge de fatwas filmées où l’on autorise, à force de hadits et de versets du Coran, les maris à s’accoupler avec des jeunes filles de dix ou douze ans.
[4] La première femme arabe à gagner une médaille d’or aux J.O est la marocaine Nawal Moutawakil (1984)
[5] Né en 1951, Mohammed Morsi est diplômé en ingénierie d’une université californienne. Longtemps, il a figuré parmi les hauts dirigeants de la Confrérie des Frères Musulmans avant de présider aux destinées de l’Egypte de 2012 à 2013.
[6] Né en 1956, Khaled Mechaal est diplômé en Physique
[7] Abdelkader Hachani (1956-1999) est diplômé en pétrochimie. Il a été le numéro 1 de fait du F.I.S dans les années 1990 avant d’être assassiné en 1999 lors d’un attentat qui ne sera jamais revendiqué.
[8] Au sujet de l’appétence des militants islamistes pour les facultés de sciences exactes, lire l’excellent article du journal suisse Le Temps: http://www.letemps.ch/opinions/2001/10/16/islamistes-sciences-exactes (page consultée en août 2015)
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