Entretien avec le Général Roberto Escoto (Forces Armées Brésiliennes)
J’ai rencontré le Général Roberto Escoto, un jeune retraité de l’armée brésilienne (né en 1962), lors d’un après-midi chaud et sec du mois de Juin, typique de Brasilia à cette époque de l’année.
L’ancien commandant de la Brigade d’Infanterie Parachutiste vient de monter une entreprise militaire et de sécurité privée (EMSP). Ses activités comprennent la surveillance des bâtiments, la protection des personnes, l’escorte des convois d’aide humanitaire, l’instruction des militaires et le conseil aux forces armées ainsi que des missions de renseignement. AQUILA s’adresse aux entreprises, ONG et gouvernements soucieux de protéger leurs biens et leurs collaborateurs dans des pays sensibles, souvent lors de conflits armés. C’est une première au Brésil. Le Général Escoto assume volontiers son statut de pionnier de la sécurité militaire privée dans un pays connu pour l’excellence de ses forces spéciales tant au niveau des opérations urbaines que des interventions en forêt vierge ou en milieu fluvial.
La vision de mon interlocuteur n’est pas sans évoquer une certaine école française qui trouve dans Lyautey (1854-1934) et Galula (1919-1967) quelques-uns de ses meilleurs représentants. Pour le Général Escoto, le soldat doit constamment tenir compte de son rayonnement et de son impact sur la population. Il doit bien entendu se comporter de manière exemplaire et respecter la discipline mais, dans un contexte de pacification et de rétablissement de l’Etat de Droit, le soldat assume aussi une fonction sociale qui fait de lui une oreille attentive aux doléances de la population et un policier qui connait son secteur sur le bout des doigts. Que ce soit à Haïti ou dans les favelas de Rio de Janeiro, le soldat (ou l’officier à vrai dire) a une vocation de « facilitateur » qui amène les services de l’Etat (santé, hygiène, transport etc.) au plus proche des civils.
En charge des troupes qui ont occupé le Complexo da Maré, un énorme bidonville au nord de Rio de Janeiro où résident plus de 100 000 habitants, le Général Escoto a vite compris que son succès dépendrait du degré de coopération de la population. Or, la collaboration est une question de confiance et celle-ci se construit lentement et avec des preuves tangibles.
La confiance se construit avec de l’empathie et du professionnalisme. Le militaire brésilien se distingue par la cordialité et la discipline. A Haïti, les habitants tiennent en haute estime les forces brésiliennes [mission de l’ONU] parce que nos hommes se comportent bien et n’abusent pas de leur autorité
L’excellence de la ressource humaine est, selon le Général Escoto, la raison principale pour laquelle il a monté AQUILA. Il souhaite valoriser le savoir-faire brésilien dans une activité où l’on rencontre souvent les opérateurs anglo-saxons, français, sud-africains voire israéliens. Le plan de marche est simple : effectuer des missions à l’étranger en tant que sous-traitant avant de gagner des marchés en direct. Pour des raisons légales, AQUILA ne peut pas opérer sur le territoire brésilien avec le même armement et matériel militaire qu’à l’étranger mais elle est parfaitement en mesure de protéger les postes diplomatiques installés dans des points chauds de la planète comme Port-au-Prince, Bagdad et Kinshasa.
Interrogé sur la sécurité régionale en Amérique Latine, le Général n’a aucun doute que le trafic de drogue est le principal défi aux autorités nationales de Buenos Aires à Mexico City. A ses yeux, les cartels, de par leur détermination et leur modus operandi, représentent la menace numéro 1 à la souveraineté nationale des pays latino-américains. Ils ont la capacité de nuire à la démocratie au point de suspendre l’exercice des libertés individuelles et le fonctionnement de l’Etat de Droit dans des territoires entiers. Ils le font d’abord et avant tout pour s’assurer le contrôle exclusif d’autoroutes commerciales et de points de passage stratégiques. C’est le cas du corridor qui relie le Guatemala à la frontière américaine (via Tijuana et Ciudad Juarez) ou bien du port de Veracruz au Mexique.
Et quand on évoque le processus de paix en Colombie, le Général souligne le risque réel et imminent de voir des ex-combattants FARC offrir leurs services aux gangs brésiliens que ce soit en matière d’explosifs ou de techniques de guérilla. Il est vrai que les liens entre les milieux criminels brésiliens et colombiens ne datent pas d’hier et promettent de se renforcer vue que le Brésil confirme son statut de deuxième marché au monde pour la vente de cocaïne. Il n’y a aucun doute que l’essor des drogues synthétiques et la résurgence de l’héroïne affecteront le Brésil, marché solvable et point de départ de nombreuses routes vers l’Afrique Occidentale.
Pour aller plus loin :
a) AQUILA INTERNATIONAL
b) Corporate Warriors, Peter Singer, Cornell University Press, 2008.
http://www.cornellpress.cornell.edu/book/?GCOI=80140100946630
c) Le site web de l’Association du Code de conduite international des entreprises de sécurité privées
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