Pour leur première participation à des élections en Colombie, les FARC, désormais parti politique, ont enregistré un score ridicule : 0.21% des voix aux législatives et 0.34% aux sénatoriales. Le 11 mars dernier, sur 18 millions de votants, 100 000 à peine ont daigné confier leur suffrage aux FARC. Un échec cuisant après 60 ans de maquis dans des conditions sanitaires effroyables. Une humiliation pour une force politique qui, il y à peine cinq ans, contrôlait un bon tiers du pays. Mais au lendemain du scrutin, il était difficile de trouver un représentant des FARC pour se plaindre ou crier à l’injustice. «Certaines défaites ne sont pas déshonorantes, et celle-ci en fait partie », Lisandro Duque, cinéaste et candidat malheureux au poste de sénateur, ne risque pas le coup de blues post-campagne électorale.
Et si cette défaite était tout sauf un revers ? Et s’il s’agissait d’un résultat attendu voire prémédité, rien qu’une étape dans une stratégie qui promet d’emmener ceux qui savent attendre leur heure jusqu’aux portes du pouvoir suprême ? Telle est la conviction d’une partie de l’establishment militaire colombien (et de l’administration Trump selon les bruits de couloir entendus dans les milieux autorisés à Bogota). L’aile conservatrice de l’armée n’a jamais cru un seul instant aux accords de paix signés à La Havane en juin 2016 entre les FARC et le président Juan Manuel Santos. Le peuple colombien non plus, à en croire les résultats du référendum organisé en octobre de la même année et censé ratifier l’accord pour de bon.
Retiré du service actif, le colonel Luis Villamarin, un ancien des forces spéciales, ne mâche pas ses mots et accuse ouvertement Santos et les « vieilles élites » qui le soutiennent d’être tombées dans le piège tendu par les FARC. Pressé d’obtenir le Prix Nobel de la Paix, le président sortant aurait bâclé une négociation où son gouvernement avait toutes les cartes en main ayant engrangé une série de victoires décisives sur le plan militaire. Au lieu de pousser son avantage, Santos, mû par une « vanité sans limites » et « incapable d’écouter un avis contraire » entérine le passage des FARC du statut de guérilla narcoterroriste à celui d’acteur politique légitime. Par un coup de baguette magique, elles deviennent, elles aussi, une victime de la guerre. Elles exigent donc des droits qui découlent d’une violence de masse causée par les « injustices historiques » que l’Etat colombien n’a jamais su résorber. Exit les prises d’otage, exit les tortures et les captivités inhumaines dans la jungle, exit attentats et autres mines antipersonnel plantées à travers champs et prairies. Les FARC ont lavé leurs pêchés sans avoir eu à faire amende honorable.
Devenu un parti politique comme un autre, les FARC donnent l’illusion, toujours selon Villamarin, de vouloir jouer le jeu de la démocratie parlementaire. Or, le visage aimable offert par les leaders communistes, tout juste sortis de clandestinité, n’est que la pointe de l’iceberg. La structure clandestine est restée intacte : milices de paysans, caches d’armes et de devises, réseaux d’informateurs, adolescents-soldats prêts à se battre. Le tout financé par le trafic de cocaïne qui ne s’est jamais arrêté, il serait conduit par des dissidentes , des renégats dont les FARC se lavent les mains et qui refusent de déposer les armes. La démobilisation ne serait donc que méprise et mensonge selon Villamarin et une bonne partie de la droite colombienne qui a emporté haut la main les élections du mois de mars.
Alors que le monde entier et la société colombienne considèrent la paix comme un état désirable, les FARC y trouvent un espace pour manœuvrer et poursuivre la guerre sous d’autres formes. En tant que « victimes du conflit », les ex-guérilleros sont autorisés à parler le langage du vivre-ensemble et des droits de l’homme. Indigènes, paysans sans terre, communautés noires isolées de la côte pacifique, LGBT, autant de segments de la population que les FARC prétendent encadrer. Pour ce faire, ils feront usage de séduction mais aussi d’intimidation à travers milices et hommes de main. En navigant dans les eaux calmes des causes sociales et sociétales, les communistes révolutionnaires peuvent s’infiltrer n’importe où, même au cœur des grandes villes où l’action conjointe de l’armée et de la police les avait chassés. Et à partir des centres urbains, ils peuvent prendre pied dans les institutions. Corps diplomatique, syndicats, écoles, médias de masse. A terme et si le grand dessein est suivi avec la discipline qu’il exige, les FARC auront leur chance de porter le coup fatal. Le jour venu, elles tomberont le masque pour mettre le pays devant le fait accompli. Il sera alors trop tard pour réagir car les institutions manqueront de souffle et de volonté de se battre. Comme une proie qui s’est laissée surprendre et envelopper par l’anaconda, elle n’aura d’autre choix que d’accepter naturellement une alternance nommée FARC.
Est-ce un pur délire de militaires et de politiciens de droite imbibés d’anticommunisme ? ou bien un signe de clairvoyance que les élites colombiennes feraient bien de saisir en plein vol tant qu’il est encore temps ? Une chose est sûre : depuis la signature des accords, la surface plantée en coca a explosé provoquant une grande inquiétude à Washington ; ce qui donne une idée des liquidités que les FARC, au cœur du trafic, continuent à capter.
Interrogé en marge de ce sujet, le chercheur et géopoliticien colombien, Ricardo Velez Rodriguez, estime que l’accord de paix sera inévitablement revu dans le futur et ce dans un sens moins favorable aux insurgés. Il dénonce aussi le fait d’avoir négocié la paix sous la houlette des Cubains et non en territoire neutre. Il donne toutefois une chance au processus de réconciliation estimant qu’il faut bien discuter avec les ennemis d’hier.
La paix se construit sur la confiance. L’armée qui a vaincu une insurrection exceptionnellement féroce et riche aura-t-elle envie de laisser faire un processus qui, au bout du tunnel, réduira ses budgets et offrira aux guérilleros une nouvelle virginité ? Il y a fort à parier que l’aigle continuera à garder un œil sur l’anaconda.
Notes :
- Luis Villamarin a écrit un livre, disponible en Espagnol, Pacto Santos – FARC dont la lecture vaut le détour notamment pour saisir l’ambiance qui a marqué les négociations de paix tenues à Cuba (disponible sur Amazon et Google Play).
- Article publié initialement par Causeur: https://www.causeur.fr/colombie-farc-operation-anaconda-150426
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