Il était un pays où les assassins et les violeurs sont autorisés à quitter la prison pour Noël, la fête des pères et la fête des mères même s’ils ont tué leur propre géniteur!
Troisième article de notre série consacrée au Brésil à la veille des élections du 7 octobre 2018
Il était une fois le PCC, la plus grande organisation criminelle du Brésil et une des premières d’Amérique Latine. Forte de 30 000 hommes, elle étend son pouvoir brutal et sans nuances sur les prisons et les rues des quartiers les plus déshérités mais pas seulement…Le premier port du Brésil, Santos près de São Paulo, serait déjà tombé dans l’escarcelle du PCC qui l’utilise comme point de départ des chargements de drogue vers l’Europe et l’Afrique. L’histoire du PCC est celle d’un monstre qui ne cesse de grandir et d’un Etat qui s’obstine à rater sa cible depuis une vingtaine d’années.
Le PCC n’a pas grand-chose du cartel colombien des années 1980 ou mexicain des années 2000. Ses chefs ne sont ni charismatiques ni connus du grand public. Ses activités ne dépendent pas du marché américain : elles sont encore majoritairement tournées vers le Brésil dont l’appétit pour le crack et la cocaïne (respectivement premier et deuxième consommateur à l’échelle mondiale) ne semble avoir aucune limite. Pour l’instant, le PCC n’a pas encore accédé au statut « prestigieux » de mafia car il n’est pas encore en mesure de blanchir son argent comme il le souhaiterait : au niveau international et au travers du marché financier. Il croule encore sous des montagnes de cash qu’il a du mal à infiltrer dans l’économie légale.
Né dans les années 1990 autour du slogan « Paix, Justice et Liberté », le PCC est à l’origine un syndicat de prisonniers. Le Primeiro Comando da Capital s’est élevé contre les mauvaises conditions d’incarcération des prisons de l’Etat de São Paulo avant de devenir un gang qui réserve une partie de ses revenus à un « fond de garantie et d’assurance » bénéficiant les prisonniers. En pratique, les « soldats » du crime volent, kidnappent et vendent de la drogue ; ils payent une contribution mensuelle au PCC et, en contrepartie, ils sont protégés par le gang à l’intérieur des pénitenciers en cas d’incarcération et leur famille se voit versée une sorte d’allocation. Tout le monde s’y retrouve : le crime organisé, les délinquants et les fonctionnaires corrompus du système pénitencier. Dans ces conditions, le PCC a vite conquis l’intégralité des prisons de l’Etat de São Paulo avant de partir à l’assaut du reste du pays où il contrôle déjà une bonne partie des pénitenciers et de l’activité criminelle.
Une véritable Pax PCC s’est instaurée dans la plus grande ville du Brésil et d’Amérique Latine : São Paulo. Il est interdit de tuer « sans raison valable », autrement on s’expose à la justice cruelle et immédiate du PCC. Résultat : le taux d’homicides a chuté significativement faisant de São Paulo une ville théoriquement plus sûre que Baltimore ou Saint-Louis (Missouri). Bien entendu, les autorités locales imputent ces bons résultats à la réforme de la police et à l’introduction de nouvelles technologies : elles ont raison mais on ne saurait ignorer le rôle dissuasif du PCC qui souhaite maintenir la tranquilidade dans les rues pour que le trafic de drogue prospère à l’abri de la répression. La « justice » du PCC lui permet aussi de gagner la sympathie sinon la soumission de la population qui se résigne à vivre sous le joug de la mafia au lieu de demander l’aide d’une police et de tribunaux lents et défaillants.
La longue marche du PCC vers la domination du crime au Brésil est entravée par le dynamisme et la virulence des gangs de la ville de Rio de Janeiro. Contrairement à São Paulo, le crime organisé à Rio de Janeiro est éclaté entre trois grandes organisations qui entretiennent un climat de guerre perpétuelle : Comando Vermelho (CV), Amigos dos Amigos (ADA) e Terceiro Comando Puro (TCP). A ces gangs, il faudrait aussi rajouter les milices, bandes criminelles composées de policiers ou d’ex-policiers, mais nous choisissons délibérément de ne pas couvrir cet aspect de l’équation pour maintenir la simplicité et la brièveté du propos. Les leaders du PCC ne parviennent pas à se mettre d’accord avec le crime organisé de Rio de Janeiro et entretiennent avec eux une relation instable faite d’alliances passagères et de revirements spectaculaires.
L’absence d’un « Yalta du crime » au Brésil alimente un climat de terreur au nord et au nord-est du pays. Dans ces immenses territoires où l’autorité de l’Etat a toujours été parcellaire, se joue le futur du « milieu » brésilien. Le PCC tente de s’y installer et d’établir un monopole absolu sur les activités criminelles. Face à lui, les cariocas du CV et des organisations locales émergentes répliquent par la cruauté et une extrême détermination à en découdre. A Fortaleza, capital de l’Etat du Ceara, on ne compte plus les corps décapités, il s’agit en général de simples résidents des quartiers pauvres qui ont eu le malheur de collaborer avec le PCC qui a, en plusieurs endroits, a établi un couvre-feu nocturne et son tribunal du crime. Récemment, un père de famille qui a refusé de donner refuge à des membres des Gardiões do Estado (GDE), une organisation locale, a vu sa maison envahie le lendemain par des hommes armés avant de se faire massacrer, devant sa famille, à coup de marteaux. Le tout à Fortaleza, la ville capitale d’un Etat de taille moyenne…
Mais où est donc la police ? Et que fait l’Etat ? La réponse est simple : il fait ce qu’il peut mais il est dépassé par la virulence des forces en présence. D’une part, il a perdu le contrôle des prisons, véritables forteresses du crime organisé et qui servent de centres de planification des hold up et des homicides. De l’autre, l’Etat a été désarmé moralement par des années d’une propagande venue des universités et des ONG qui insistent toujours sur les droits des prévenus et diabolisent en permanence la répression policière. Au cœur même de la magistrature, on trouve des décideurs (juges et procureurs) qui mettent en avant la garantie des droits de la défense pour libérer, de manière conditionnelle, des chefs de gang qui profitent de la première occasion pour fuir et se venger des policiers et des civils qui les ont dénoncés. Le Brésil marche sur la tête !
Il est encore temps de réagir. Il n’existe pas de Pablo Escobar brésilien ni d’équivalent de Cartel de Medellin à Rio ou à São Paulo. Pour le moment. L’Etat, s’il décide de prendre le problème à bras le corps, peut encore l’emporter. Pour cela, il faudrait que la société se décide à se défendre contre les agressions du crime organisé qui empoisonne la jeunesse et foule au pied la démocratie. Convaincre la société (donc les élites et la société civile) de se réveiller enfin est la chose la plus difficile à faire car elle exige un leadership politique qui semble avoir déserté ce côté-ci des Tropiques.
Ni le PCC ni le CV ni aucun autre gang n’est intéressé par le pouvoir politique. Ce sont des machines à faire du cash et pour cela elles ont besoin d’un monopole absolu sur ce qu’elles font : drogue, kidnapping, hold up, extorsions, contrefaçon etc. Elles n’ont aucune envie d’exercer le pouvoir politique, elles ont simplement besoin de le soumettre suffisamment pour qu’il puisse les laisser prospérer dans leur coin. Mais il faut reconnaître que la force capable d’instaurer un couvre-feu dans une ville comme Rio de Janeiro ou de dicter des sentences de vie ou de mort aux quatre coins du Brésil a définitivement un caractère politique. Elle exerce un pouvoir sur des millions de Brésiliens. L’on est donc face à une tyrannie qui n’hésite pas à couper les oreilles de ses opposants ou à brûler vifs les « traitres ». Elle dispose déjà de compagnons de route dans le monde culturel et artistique tels ces rappeurs qui glorifient le crime et chantent les louanges des grands mafieux. Bienvenue dans le pays du narco-fascisme. Welcome to gangster paradise !
Leave a Comment