Tout le monde a été pris de court par l’éruption du phénomène des gilets jaunes. Eux les premiers car le mouvement spontané a cristallisé très vite et très bien. Qui peut se vanter aujourd’hui de sortir cent ou deux cents mille français dans la rue à part le PSG ou l’équipe de France de football ?
Voici quelques remarques, réflexions et interrogations vues de loin, depuis le Brésil où je réside et le Maroc, le pays de mon enfance et de ma jeunesse qui ne m’a jamais vraiment quitté.
Sur le fond d’abord :
- Les gilets jaunes s’indignent, à juste titre, de payer plus cher le carburant. J’ai assisté à un débat télévisé où un gilet jaune s’en prenait à la secrétaire d’état à la transition écologique qui lui a avoué que son salaire dépassait les 7000 euros. C’est peu au regard du revenu d’un joueur de football qui gagne peut-être 7000 euros l’heure ! Personne ne trouve rien à redire à cela alors que le délire du foot business dépasse les bornes de la décence et du bon sens. Pourquoi s’en prendre à un haut fonctionnaire ou un élu qui gagne 7 fois le salaire minimum et applaudir en même temps un joueur de foot qui gagne 1000 ou 10000 fois le SMIG ? Les deux choses sont comparables car le foot business a une fonction sociale bien particulière : habituer les gens à accepter des écarts de salaires qui ne se justifient en rien.
- A l’ère des réseaux sociaux et du Big Data, on se rend compte que le gouvernement ne connaît plus les Français. Les échanges (quand il y en a) sont souvent surréalistes. Aujourd’hui, l’on sait tout des Français (revenu, localisation en temps réel grâce aux téléphones portables etc.) mais on ne connaît rien de leurs émotions et de leur état d’esprit !
- Cette crise survient après des épisodes déplorables comme celui de Benalla qui a exaspéré les classes populaires qui, à l’époque, avaient gardé le silence. Il y a eu aussi un été marqué par l’Aquarius et tout un discours culpabilisant qui tuait dans l’œuf toute critique de la politique officielle vis-à-vis du dossier dit des migrants. La frustration par rapport à ce gouvernement a été refoulée derrière un mur de silence car les classes populaires se sont habituées à se faire traiter de « beauf » et de « racistes » dès qu’elles osent émettre une opinion qui ne convient pas au consensus dominant. L’explosion «permise » par le dossier des carburants doit se comprendre comme une étape de plus dans un processus accumulatif. Pour la première fois, les classes populaires trouvent un exutoire qui soit au-dessus de tout soupçon. En effet, les gilets jaunes parlent de « sous » et d’économie, et il est difficile dans ces conditions de les disqualifier sur des bases fallacieuses (« vous représentez les extrêmes », « vous êtes contre l’Europe » etc.)
- Les gilets jaunes se plaignent de l’acharnement fiscal de l’Etat. Ce dernier devrait se retrousser les manches et sortir de la zone de confort car il existe d’énormes poches d’économie informelle en France et il faudrait les taxer. Je pense par exemple au secteur de la restauration ou aux divers trafics de pièces détachées. Il n’est pas juste, d’un point de vue démocratique, de laisser prospérer toute une économie souterraine et qui créé des fortunes alors que les citoyens lambda sont lourdement touchés par les impôts indirects.
- Enfin, les gilets jaunes représentent le retour de la question sociale. C’est la faillite des thèses de Terra Nova, ce think tank qui affirmait, il y a juste dix ans, que les classes populaires devaient céder le pas face aux minorités et que la gauche devrait leur tourner le dos car elles représentent le passé. Eh bien, le passé résiste et il a de beaux restes.
Sur la forme :
- La violence des casseurs est impressionnante et affligeante. Nous redécouvrons la violence, un fait que nous tentons de refouler depuis longtemps. Il existe des personnes déterminées à casser, elles n’ont aucune proposition à faire ni contribution à apporter. Elles sont en liberté parce que le système pénal offre une chance de réinsertion et croit (avec une bienveillance candide parfois) à la prééminence des peines alternatives. Autrement dit, Paris brûle parce que nous avons laissé en liberté, par idéologie et idéalisme, des centaines d’individus bien décidés à polluer le vivre-ensemble et la paix civile.
- Comme il est difficile d’être policier ou gendarme dans une Démocratie véritable comme la France ! Je rends hommage aux forces de l’ordre pour leur calme et professionnalisme en dépit des provocations des casseurs. Peu de pays dans le monde peuvent se prévaloir d’une police aussi bonne que celle de la France. Et la haine du flic, si chère à une partie de l’intelligentsia, est tout sauf justifiée.
J’espère sincèrement que les Français trouveront le moyen de dialoguer et de recréer un minimum de confiance entre les élites et le peuple.
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