Lorsque j’étais adolescent au Maroc dans les années 1990, j’avais la plus grande sympathie envers les militants gauchistes malmenés par les islamistes dans les universités marocaines.
Les progressistes reculaient et j’en étais affligé, le port du voile à la fac s’étendait et la mixité, un acquis, recommençait à créer des crispations. Vingt ans plus tard, j’ai visité Cuba à titre privé et j’ai compris, j’ai enfin compris ce que veut dire le communisme. J’en fus bouleversé. Désormais, je me méfie des deux camps : des islamistes et l’extrême-gauche. Et je me suis amusé récemment à pointer leurs convergences qui sont bien plus nombreuses que ce que je croyais.
Un but commun nommé chimère
La poursuite d’une chimère constitue le but suprême de l’extrême-gauche et des islamistes (dans toute leur diversité : des salafistes aux frères musulmans). Les deux rejettent le bon sens et se lancent dans la poursuite d’utopies inopérantes et réputées comme telles. Le communisme ne fonctionne pas, il a exterminé des dizaines de millions d’innocents et, en 70 ans de règne en Russie, il a éradiqué les arts et la culture (tout est catastrophique, du cinéma réaliste à l’architecture soviétique). De leur côté, les islamistes tentent d’imposer, bec et ongle, une oppression qui ne fonctionne pas : l’Arabie Saoudite, le berceau du wahabisme, n’est même pas capable de se défendre sans l’aide de puissances étrangères ; et tout le pétrole du monde ne saurait résoudre les problèmes de ce pays qui éradique dans l’œuf tout ce qui ressemble à une initiative individuelle.
La guerre totale comme stratégie
Si l’on s’intéresse aux stratégies déployées des deux côtés, l’on est saisi par une autre ressemblance évidente : le recours systématique à la guerre culturelle. Dans ce dispositif, le contrôle des universités est une étape essentielle car elles sont le berceau des futures élites : journalistes, magistrats, experts etc. La guerre des universités exige l’usage de la violence matérielle et immatérielle, souvent appliquée en meute. Blocages, occupations, barrages filtrants, intimidation des professeurs et des élèves etc. En Tunisie au lendemain du printemps arabes, les étudiants islamistes de la faculté de la Manouba ont obligé leurs consœurs à porter le niqab. Ils ont même voulu obliger les étudiants célibataires à se marier au sein du campus pour éviter toute relation sexuelle illicite dans la communauté universitaire. En France, on préfère occuper les amphis et organiser des journées « sans blancs » à la fac. Il n’empêche, l’idée fondamentale est la même : submerger la majorité silencieuse par un maximum de bêtise et de haine et l’obliger à se soumettre pour pouvoir étudier et obtenir le diplôme sans trop de casse.
L’enseignement primaire et secondaire est plus difficile à prendre, au regard de ses dimensions, mais il est déjà largement influencé par l’extrême-gauche en France et les islamistes partout dans le monde arabe. Un ami marocain me racontait qu’un gros tiers de ses professeurs au lycée étaient affiliés à un mouvement islamiste. Parmi eux, certains organisent des piqueniques le dimanche pour les élèves nécessiteux, d’autres des ateliers de perfectionnement pour les plus assidus, autant d’occasions de retirer les jeunes au contrôle parental et les imbiber d’idéologie islamiste. Bien joué !
La guerre des écoles et des universités fait partie d’une guerre totale qui englobe tous les champs possibles : du politique au sociétal en passant par les médias et la culture. Il n’y a que la droite en France et les laïcs et les modernistes dans le monde arabe pour l’ignorer ! La guerre totale est menée 24h/24 et 7j/7, c’est une guerre d’usure qui vise à étouffer toute velléité de réaction ou de défense chez l’ennemi. Tel un anaconda qui étouffe sa proie, l’offensive de l’extrême-gauche en France et des islamistes au monde arabe rend inéluctable et inévitable des choses absurdes. Le corps social se laisse faire, il devient encore plus passif que d’habitude et accepte le changement sans résister : en France, on s’est laissé convaincre qu’un récidiviste a encore une chance de réinsertion après la dixième ou la vingtième infraction, on s’est laissé convaincre aussi que la France est un pays à décoloniser; dans le monde arabe, on a accepté sans broncher de voir les femmes remettre le voile alors qu’elles s’en étaient débarrassées en masse dans les années 1960, on accepte même de voir des groupes armés enlever les filles pour en faire des esclaves sexuels d’un jour ou d’une semaine et d’appeler cela zawaje mutaa c’est-à-dire un mariage d’agrément, reconnu par certaines exégètes !
L’union fait la force
Sur le plan des tactiques, l’on est saisi par certaines similitudes dans les choix faits par l’extrême-gauche et les islamistes. Les deux ont recours à la tactique du front uni qui consiste à agréger autour d’eux des personnalités et des organisations disparates et qui ne sont pas conscientes parfois de la cause qu’elles servent. Les fameux compagnons de route du communisme dans les années 1960 et 70 ne savaient pas forcément qu’ils étaient en train d’appuyer une monstruosité. Certains aujourd’hui au nom du progrès osent encore défendre le régime de Maduro au Venezuela. Et combien de penseurs maghrébins et occidentaux se lèvent, au nom des droits de l’homme, pour défendre tel ou tel islamiste incarcéré ? Combien prêtent leur plume pour écrire des tribunes et signer des pétitions au bénéfice de militants salafistes qui n’ont jamais caché leur dégoût pour les droits de l’homme et la pluralité ? Il suffit d’ouvrir les yeux sur le massacre des intellectuels algériens dans les années 1990 aux mains des islamistes du GIA et des groupes affiliés au FIS.
Le front uni choisit ses ennemis avec soin et en faisant preuve d’un cynisme inégalable. En France, on hait la police et non la délinquance qui opprime les plus vulnérables dont les enfants d’immigrés et les classes populaires. Dans le monde arabe, plusieurs grandes voix de l’islamisme comme le prédicateur égyptien Kishke (1933-1996) ont préféré haïr Nasser et Sadate au lieu de s’en prendre à Israël. Ils ont fêté la défaite égyptienne face à Israël en 1967 en y voyant un châtiment divin à l’encontre du socialisme nassérien.
Et bien entendu, le front uni est spécialiste de l’indignation sélective. On se tait sur les crimes du stalinisme, sur les atrocités commises par les FARC en Colombie comme on feint de ne pas voir les victimes civiles tombées au Bataclan. C’est le même réflexe absurde et méprisable : on s’enflamme quand un des nôtres est touché mais on détourne le regard quand quelqu’un du camp d’en face est enlevé, torturé ou mutilé.
Enfin, tant l’extrême-gauche que les islamistes ont le même mépris envers le pluralisme. La démocratie est juste bonne pour accéder au pouvoir mais dès qu’il s’agit d’alternance l’on fait tout pour verrouiller le système et diaboliser l’opposition qui est toujours inévitablement fasciste ou impie selon la rive de la Méditerranée où l’on se trouve.
Je me demande parfois si certaines grandes figures de l’extrême-gauche française ou latino-américaine ne seraient pas des passionarias de l’islamisme si elles étaient nées au sud de la Méditerranée. Car les réflexes sont similaires. Ce qui change c’est le signe placé devant la flèche du temps : certains regardent du côté du sacro-saint progrès, d’autres sont obsédés par le sens inverse c’est-à-dire le retour au ssalaf donc le passé (celui de l’époque du Prophète). Dans les deux cas, il s’agit d’extrémismes qui poursuivent des chimères. Et dans un sens ils ont bien raison d’agir comme ils le font car le changement semble être à la portée des extrêmes, ils sont déterminés et agressifs, et excellent dans l’art de convaincre la majorité silencieuse à obtempérer. Rappelons-nous la devise des révolutionnaires de 1792 : Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort !
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