Il y a huit ans, la Syrie ouvrait les portes de l’enfer pour s’enfoncer dans la guerre civile. Quelques considérations à ce sujet.
La guerre n’a servi à rien car le pays et la région tout entière en sont au même point à savoir que le choix est limité : islamistes sanguinaires vs sécuritaires durs. Les modérés et autres gens sympas avec qui nous aimerions boire une bière sur le bord du lac Léman ne savent pas se battre. Dépourvus de troupes et de militants, ils sont condamnés à fuir ou à se diluer dans les armées des éradicateurs qu’ils soient barbus ou sécuritaires. Triste réalité.
La guerre a commencé en Syrie bien avant que la première balle soit tirée. Des archives saisies par les militaires occidentaux montrent que les jihadistes ont cartographié les liens claniques et les équilibres politiques locaux, ville par ville et village par village, bien avant le début officiel du conflit. Lorsque les combats ont commencé, ils ont très vite neutralisé les irréductibles (meurtre ou intimidation) et conclu des alliances avec les autres (mariages et accords commerciaux). C’est ainsi que plusieurs familles influentes ont été obligées de donner leurs filles en mariage à des jihadistes (syriens, saoudiens, tchétchènes etc.) en contrepartie de la sécurité.
Extrême faiblesse du monde arabe, réduit à appeler au secours soit les Américains, soit les Russes voire les Turques et les Iraniens selon le cas. Nous sommes en 1918 et Laurence d’Arabie est quelque part au Hijaz ou au Cham en train de nous expliquer comment faire la guerre ! Il parle Russe peut-être cette fois mais l’essentiel est qu’il n’est pas arabe. Aucune nation arabe n’a le pouvoir d’influencer réellement ce qui se passe en Syrie. Les pétrodollars permettent, tout au plus, de garder vive la flamme de la destruction en finançant les dingues de tout bord. Nasser doit se retourner dans sa tombe !
Le monde arabe est disloqué. Il est impossible de réunir les pays arabes autour de la table le temps d’un sommet. Les divergences (que dis-je les haines) sont trop vives.
Le conflit israélo-palestinien est devenu secondaire. Ce qui s’est passé en Syrie, les jeux d’alliance des uns et des autres, huit ans de va-et-vient diplomatique ont montré que le sort des Palestiniens est passé au second plan. Le Moyen-Orient s’est fait à l’idée de cohabiter avec Israël, il s’agit d’un grand changement. Nous aurons au moins gagné en clarté et en sincérité. La seule puissance ouvertement anti-Israël demeure l’Iran.
L’Iran tient bon. Huit ans d’intervention en Syrie via des milices et forces spéciales ont consolidé l’image d’un pays fort, prêt à tout pour défendre ses intérêts et ne pas se laisser encercler. A l’est, l’Iran voit les difficultés des Américains en Afghanistan, à l’ouest, il cohabite parfaitement avec un Irak multiconfessionnel très affaibli et plus loin, au Liban et en Syrie, il a plus que jamais son mot à dire.
La Turquie est redevenue elle-même sous Erdogan. A mon grand regret, l’héritage kémaliste est en train de s’étioler. L’Islam politique semble l’emporter en Turquie et avec lui un certain impérialisme « ottoman ». Nous nous sommes habitués à voir les blindés turcs violer la souveraineté syrienne pour un oui ou pour un non. Les Turcs font de même au nord de l’Irak. Avec l’excuse de combattre les kurdes, ils humilient leurs voisins du sud chez qui ils maintiennent des bases militaires permanentes. Il y a mieux en termes de bon voisinage et de collaboration internationale !
Les choses auraient été différentes si les Occidentaux n’avaient pas éliminé Kadhafi (octobre 2011). Les Russes font le lien entre Tripoli et Damas. Après avoir perdu un allié et un client en Méditerranée en la personne de Kadhafi, ils ne veulent pas se laisser surprendre une deuxième fois. Ils ont vécu l’intervention occidentale en Lybie comme une trahison car le mandat de l’ONU n’a jamais porté sur le changement de régime.
La France est out et son soft power est miné. A force de tiraillements et de silences complices, la diplomatie française est marginalisée au Moyen Orient. La France paiera le prix plus tard sur le plan linguistique et culturel.
Le Moyen Orient est pluriel et multiculturel. Le monde a découvert les Yazidis à l’occasion des troubles ethniques en Irak et en Syrie. Il en est de même pour une série de minorités comme les assyriens et les chrétiens d’Orient. Il est saisissant de constater la survie de petites communautés « habituées » à résister aux agressions des majorités hostiles.
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