« Ne sont conquis que les peuples qui veulent bien l’être »
Albert Grenier, historien et professeur au Collège de France
Certains événements semblent accélérer l’Histoire en faisant tomber les masques des uns et les œillères des autres. Ils trouvent sur le chemin des leaders d’opinion qui s’en emparent instantanément comme si une main invisible avait écrit le scénario à l’avance. Ces figures publiques mettent alors leur prestige moral au service d’une cause qui les dépasse voire qui promet de les écraser s’ils n’y prennent pas garde. Les attaques contre les mosquées en Nouvelle Zélande font sans aucun doute partie de ces accélérateurs de l’histoire.
Une semaine après les faits, le nécessaire hommage aux victimes a donné lieu à une journée de glorification de la religion musulmane orchestrée par Jacinda Ardern, cheffe du gouvernement. Les télévisions ont diffusé l’appel à la prière du muezzin et des milliers de jeunes filles ont porté le hijab, sourire aux lèvres et ravies de se travestir en musulmanes le temps d’une journée. Ces beaux visages teintés d’une douce ivresse, celle de la conscience tranquille, exprimaient la sincérité et la spontanéité de celles qui portaient le voile comme on arbore un badge autour du cou le temps d’un festival de hard rock. Tout semblait aller de soi, tout était naturel et anodin.
Vus de loin, les néozélandais semblent mettre le hijab au même niveau que le haka maori : un symbole inoffensif, prélevé sur une civilisation vaincue depuis belles lurettes. Or, l’Islam n’est pas mort, il est bien vivant et il est passé à l’offensive même. Les musulmans ne sont pas les maoris, ils résistent vaillamment à la modernité et à la globalisation. Et parmi les musulmans, il y a une frange dynamique qui veut en découdre avec tout ce que l’Occident représente, une minorité très agressive qui ne supporte la liberté dont jouit la femme occidentale. C’est à croire que les néozélandais ne regardent pas la télévision, qu’ils ne sont pas au courant du 11-septembre ou du Bataclan, qu’ils ne connaissent pas Boko Haram ou l’Etat Islamique, qu’ils ignorent le sort des féministes et des minorités dont les homosexuels au Moyen Orient…
On nous avait convaincu qu’il fallait combattre le patriarcat, son injustice congénitale et sa violence consubstantielle. Or, porter le voile c’est exhiber le symbole évident d’un patriarcat qui ne fait aucune concession aux droits de l’homme et encore moins au mouvement féministe. Le statut de la femme musulmane n’est ni juste ni enviable. Ou est-ce que le seul ennemi qui vaille la peine d’être dénoncé est le patriarcat chrétien ?
Tout cela a eu lieu le plus naturellement du monde et dans une belle unanimité à Christchurch, l’église du Christ ! Parfois, les mots crient la vérité que le politiquement correct s’efforce de voiler : vendredi dernier, on a brulé symboliquement les vieux vêtements, on s’est débarrassé de la peau ridée qui ne correspond plus à l’air du temps, on a détruit les dernières reliques du christianisme, quitte à faire équipe avec l’Islam. L’ennemi de mon ennemi est mon ami comme on dit…
Les femmes qui se sont spontanément voilées vendredi dernier habitent un monde qui est devenu une page blanche, débarrassé de l’héritage chrétien que personne ne veut plus assumer. Cela s’appelle une mise au point.
Le ventre plein et protégé des turbulences du monde, les néozélandais ont grimpé très haut dans la pyramide de Maslow. Ils se permettent désormais le vrai luxe qui consiste à se comporter comme une divinité assurée de son éternité quoi qu’il arrive. Tel est le comble du raffinement : aimer ou feindre d’aimer autrui plus que soi. Faire la promotion de l’Islam est peut-être une manifestation de vanité extrême. « A quoi bon être sur ses gardes et avoir les yeux ouverts si nous sommes tellement puissants et avancés ? Qu’est-ce qui peut bien nous arriver ? Ce n’est pas une religion qui va nous vaincre nous. »
Ultime frontière du luxe et début de la bêtise. A force de se prendre pour un demi-dieu, on court le risque de sortir de l’Histoire pour de bon. C’est le suicide programmé d’un dandy qui danse ivre sur le bord du ravin. Il a le vertige et ça lui plait.
On pourrait me rétorquer que la Nouvelle Zélande n’est qu’une pointe avancée de l’Occident en Océanie. Qu’elle peut se permettre de jouer avec le feu puisqu’elle est riche et isolée des coups de boutoir de l’islamisme. Mais c’est peut-être précisément pour cela qu’elle peut servir de phare à des idéologues déboussolés qui voient dans le multiculturalisme anglosaxon l’horizon indépassable de la civilisation.
Adieu Occident. Adieu belle civilisation que j’ai aimée et adoptée moi le nord-africain, l’arabe et le musulman. Je me sens orphelin à chaque nouveau renoncement. Que doivent faire les millions de musulmans sécularisés et occidentalisés ? Partir aux Antipodes, loin quelque part en Océanie ou au Brésil, pour recréer un embryon d’Occident ? ou bien résister à la folie d’un grand malade mais néanmoins ami qui joue en permanence à la roulette russe ?
Driss Ghali
Ecrivain et diplômé en sciences politiques, il vient de publier ‘Mon père, le Maroc et moi’ aux Editions de l’Artilleur.
Retrouvez-le sur son site www.drissghali.com
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