L’affaire Hajar défraie la chronique et permet aux modernistes de jouer leur rôle : s’indigner. Rien de plus. Ils ont beau s’époumoner, leur parole ne porte pas au-delà du lycée français ou des cafés à la mode car la société marocaine n’a jamais été aussi sourde aux sirènes de la modernité.
Commençons par poser les hypothèses. Les bonnes hypothèses. Personne au Maroc ne doit être emprisonné à cause d’un avortement. Ni d’un adultère.
J’espère que la journaliste emprisonnée changera d’avis, une fois relâchée, et qu’elle défendra les deux thèses que je viens d’énoncer. Cela vaut pour elle et pour les organisations politiques dont elle est proche. Il n’est pas interdit de rêver.
Je suis sidéré de lire ici et là des tribunes au vitriol mettant en cause l’Etat marocain. Il n’est pour rien dans l’affaire Hajar. Il est le simple exécutant d’un code pénal inspiré de la Chariah. Le cœur du problème est l’alignement de nos lois sur les prescriptions du droit islamique.
Le jour où l’Etat cesse d’appliquer ce code pénal inspiré de la Chariah, il verra les Marocains descendre dans la rue. La dernière fois que l’Etat a forcé la main à la société marocaine remonte à 2004 c’est-à-dire à la courageuse réforme de la Moudawana. La même réforme serait impossible aujourd’hui. La société a changé. Elle a été ré-islamisée en profondeur.
Ce n’est pas l’Etat qui interdit le port du bikini dans les plages du Maroc, ce n’est pas l’Etat qui harcèle nos femmes, nos sœurs et nos filles à longueur de journée sur la voie publique, ce n’est pas l’Etat qui ordonne aux gens de construire une mosquée à chaque coin de rue, ce n’est pas lui qui oblige les Marocaines à porter le voile : elles le font de leur propre chef.
L’Etat subit la ré-islamisation comme tout le monde. Il est lui-même dans le viseur des islamistes qui veulent s’emparer de ses rouages pour agir sur la société. Celui qui contrôle l’Etat détient le vrai pouvoir. Il n’a même plus besoin de participer aux élections car les fonctionnaires et les administrations appliqueront sa politique et elle seule.
L’Education Nationale est déjà « perdue » car le pouvoir y est partagé de fait avec des groupes de pression au service des islamistes. A l’université, c’est pareil. Et demain, ce sera peut-être au tour du ministère de la justice, qui sait ?
La ré-islimisation a été accompagnée d’un ensauvagement de la société. Les faits divers le montrent. Les stades marocains sont devenus une zone interdite pour les personnes qui tiennent à leur intégrité physique. La nouvelle piscine de Rabat a besoin (me dit-on) de forces de l’ordre en nombre pour éviter la baston pour un oui ou pour un non. Et la liste est longue.
L’Etat ne cesse de reculer face à une société de plus en plus rebelle. Sa richesse apparente (beaux uniformes, bâtiments flambants neufs, fortunes dépensées pour refaire le mobilier urbain) ne dit rien de sa puissance réelle. L’Etat marocain n’a jamais été aussi faible, c’est une première depuis les années 1960/70. Il ne sait plus quoi faire pour stopper la gabegie dans les hôpitaux, il ne peut rien face aux gangsters qui pillent le sable des plages, enfin, il se tait devant les marchands ambulants qui font ce qu’ils veulent où ils veulent. Tout ce que je viens de dire saute aux yeux : pas besoin d’un rapport du FMI ou d’une synthèse de McKinsey.
Très sincèrement, j’aurais aimé que tout le monde, à commencer par les islamistes, s’indigne et fasse du bruit pour le terrible sort de la jeune femme nommée Hanane, outragée, torturée et assassinée dans les rues du mellah de Rabat. Malheureusement, cette femme est morte pour rien car ni le gouvernement, ni les partis n’ont pris le temps de s’indigner et surtout de tirer les conclusions de ce qui s’est passé. Serait-ce dû à sa condition sociale ou bien à la stigmatisation dont fait l’objet sa profession ?
Une femme a été massacrée sous les yeux d’un quartier entier qui n’a pas levé le petit doigt pour appeler la police. C’est dire la distance qui sépare la population de l’Etat, à 1500 m du siège de la préfecture. C’est dire la décomposition de la société marocaine qui est passée du patriarcat au règne du plus fort en quelques années. Dans le Maroc des années 1990, il était impensable qu’un repris de justice place un derb entier sous son joug au point de commettre l’irréparable au vu et au su de tout le monde.
L’urgence est de réparer le lien entre l’administration publique et le citoyen. Qu’il recommence à lui faire confiance et qu’il admette son monopole légitime de la violence. Si on veut défendre les faibles, il faut muscler l’Etat et non l’inverse. Réhabiliter l’autorité et non la casser. Le Marocain a besoin de voir et de toucher l’autorité. Ignorer cela frise l’irresponsabilité.
L’Etat n’est pas l’ennemi. Il fait partie de la solution s’il est mis au service de la civilisation et non de la barbarie. Il est un simple exécutant. Pour qu’il défende un Maroc où il fait bon vivre, il faut qu’il soit fort pour s’opposer à l’entrisme des islamises et à l’ensauvagement de la société. Il faut qu’il soit guidé et éclairé et non conspué. Pour cela, il faut que les modernistes s’installent au cœur du réacteur et non dans les marges.
Il faut accepter de se salir les mains en s’attaquant aux vrais ennemis du progrès. Cesser de fantasmer sur les années de plomb et se dire plutôt, que si rien n’est fait, un remake des années de plomb nous attend. Il sera signé cette fois par tout ce que le Maroc compte d’obscurantistes, qu’ils soient islamistes ou repris de justice.
Malheureusement, le sacrifice est un mot étranger à ma génération. Nous sommes (moi le premier) trop individualistes pour faire face aux vrais défis de notre temps.
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