Qu’on le veuille ou non, les droits de l’homme font partie du patrimoine mondial. De combien d’avancées remarquables leur sommes-nous redevables ! L’interdiction de la torture, la liberté de conscience et de culte, la reconnaissance de l’amour homosexuel. Un retour en arrière semble impossible qu’il s’agisse de la condition féminine ou de l’égalité entre les races. En soi, il s’agit d’un progrès prodigieux.
Adolescent, je me rappelle de discussions interminables avec mon père au sujet des droits de l’homme. A l’époque (on est en 1991/1992), le gouvernement français faisait pression sur Hassan II pour libérer les prisonniers d’opinion et fermer le bagne de Tazmamart. En première ligne, se trouvait Danielle Mitterand, l’épouse du président de la République. Elle énervait mon père au plus haut point, elle lui sortait par les yeux même : « Cette bonne femme exige de rendre visite à des types qui seraient capables de la découper en morceaux à la moindre faute d’inattention du geôlier, qu’est-ce qu’elle croit ? Qu’elle va trouver Voltaire ou Diderot dans les prisons marocaines ? Ils sont fous ces socialistes ! ». Du haut de mes douze ans, je tentais quelques objections vite balayées par l’argument d’autorité paternelle : « quand tu seras grand, tu comprendras ce que je veux dire ». Il n’empêche l’ingérence française au nom des droits de l’homme a fait plus de bien que de mal et, même mon père avant de mourir, me confia : « c’est grâce à Amnesty International que l’on ne torture plus au Maroc et c’est tant mieux comme ça ».
Aujourd’hui, le climat a complètement changé que ce soit au Maroc ou ailleurs. Tombées aux mains des progressistes, les droits de l’homme ont perdu leur portée universelle. Désormais, ils ont le souffle court et ne sauraient franchir la Méditerranée. Quel pays arabe ou africain voudra de la « PMA pour toutes » ?
Où est passé la condition humaine ?
Les objections aux droits de l’homme ne sont pas seulement de l’ordre des mœurs et des coutumes. Le mal est plus profond car la doctrine des droits de l’homme (droits humains devrais-je écrire pour montrer patte blanche) n’est plus un humanisme. Elle ne s’intéresse plus à l’être humain dont elle ne retient qu’une version diminuée, rabougrie et déprimante.
C’est ainsi que les tribunaux de France semblent avoir oublier que l’être humain est capable de faire le mal par méchanceté et par bêtise. Cent ans après Freud et Jung, ils ont oublié que l’homme est un être troublé, susceptible de chercher l’apaisement dans des croyances qui « ne se discutent pas ». Le degré de sectarisme et de fanatisme de l’être humain frôle la folie puisqu’il est capable de tuer au nom d’une idée abstraite et aux contours obscurs : une religion, une idéologie, une fierté ethnique ou un régionalisme. Or, l’establishment universitaire et une partie de la magistrature ont décrété que les Passions n’existent pas. L’homme est pure Raison selon eux. Ils ignorent ainsi les ressorts du jihadisme (fanatisme teinté de bêtise et de méchanceté) comme ils passent à côté du phénomène racaille (méchanceté conjuguée à un défaut d’autorité parentale). On se retrouve avec un système judicaire qui court après l’événement et qui couvre de caresses les ennemis des droits de l’homme : délinquants et autres déséquilibrés.
La chronique des faits divers raconte le renoncement de l’Etat à surveiller et punir c’est-à-dire à protéger la société des assauts des violents. Au nom des droits de l’homme, la collectivité est offerte comme un butin par un Etat qui s’empêche. Aussi, le besoin de protection, fondement de la condition humaine, est-il le grand absent de notre époque.
Tout comme le principe de légitime défense qui ne fait plus recette devant les tribunaux. Ces temps-ci, il vaut mieux mourir trucidé que chercher à sauver sa peau.
En 2014, devant de la McDo de la Gare du Nord, un ancien légionnaire a été attaqué par un dealer. Accompagné de sa petite amie, il n’a eu que quelques secondes pour prendre une décision sachant que la fuite était impossible. Il faisait nuit. Blessé à la main, il a eu le courage nécessaire pour se saisir du couteau de son agresseur et de le retourner contre lui. La bagarre s’est soldée par la mort de l’assaillant. S’en sont suivis quatre ans de procédure pénale où le soldat a dû expliquer pourquoi il a préféré la vie à la mort. En cour d’assises, l’avocate générale a requis contre lui une peine de cinq ans de prison avec sursis ! Heureusement, elle n’a pas été suivie et le légionnaire a fini par être acquitté.
La barbarie naît de la civilisation
Les droits de l’homme ont perdu leur légitimité en abandonnant le bien commun. Ils ont cessé d’être humanistes en tournant le dos à la nature humaine et à la condition humaine. Depuis, ils flottent dans l’air sans emprise sur la réalité. Ils sont là, visibles de tous comme une vapeur estivale au bord de la plage. Bientôt un vent violent, surgi de nulle part, les balayera, d’un souffle.
Un jour ou l’autre, les citoyens finiront par réagir et feront vaciller l’Etat de Droit et la civilisation des mœurs : ce n’est pas la justice qu’ils exigeront mais la vengeance, la punition collective et le châtiment physique. La bascule aura lieu suite à un ou plusieurs faits divers retentissants où des parents seront obligés de sauver leur progéniture eux-mêmes, sans pouvoir compter sur une police aux mains enchaînées par la Ligue de la Vertu droit-de-l’hommiste.
Quand les moutons sonneront la fin de la récréation, l’Etat se réveillera et rentrera en scène pour éliminer les loups. Il le fera pour se protéger lui-même car sa pérennité, en tant qu’être collectif dépend du consentement des citoyens. Ce consentement est la clef de voute de la civilisation française où l’Etat est « nourri » par la société (grâce aux impôts) en contrepartie de la protection et de la bonne gouvernance.
L’égarement des civilisés rend possible l’impensable. La barbarie naît de la civilisation.
Pour le moment, les Français ne font rien. Leur apathie est rageante mais elle s’explique facilement. Ils attendent que l’Etat fasse le premier pas. Cet Etat protecteur et bienveillant qui a conduit la société sur le chemin des Trente Glorieuses et de la redistribution des fruits de la croissance. Les gens croient que la haute fonction publique viendra, tôt ou tard, à leur secours. Alors, ils ne se rebellent pas.
L’Etat lui navigue à vue. Il sait que tout va mal mais n’ose pas prendre les choses en main. Les séquelles de la guerre d’Algérie, la dernière fois que l’administration civile et militaire a osé dire non aux politiciens, hantent toujours les esprits.
Comme tout réveil brusque, comme tout sursaut provoqué par le bruit des vitres cassés au milieu de la nuit, le retour de la force sera brutal. L’excès répondra à l’excès.
Pour un nouvel humanisme
Malgré tout, la France aura de la chance dans son malheur. Ses Rois et leurs héritiers républicains (de Napoléon à De Gaulle) lui ont légué un Etat puissant et ordonné. Une colonne vertébrale solide qui aidera le pays à traverser cette épreuve durant laquelle les droits de l’homme seront inévitablement mis entre parenthèses. L’intermède durera le temps qu’il faudra pour que les éléments déchaînés détruisent le paysage ancien. Une fois le terrain dégagé, une nouvelle réalité naîtra avec ses totems et ses tabous. Ses vertus et ses défauts aussi.
Préparer l’avenir est une urgence. Faire advenir un nouvel humanisme qui se préoccupe réellement de la nature humaine, sublime et déplorable en même temps. Un humanisme qui marie l’individuel et le collectif. Une nouvelle Renaissance en somme. Qui sera notre Erasme, notre Pic de La Mirandole et notre Pétrarque ? Ils sont peut-être déjà là, parmi nous, à l’œuvre dans leur cabinet à étudier et écrire. Si vous avez la chance de les croiser, faites, s’il vous plaît, ce qui est en votre pouvoir pour les aider à accomplir leur mission.
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