La violence n’est pas le fruit de la génération spontanée. Les faits divers non plus. Il n’y a rien de gratuit, d’irréfléchi ou d’imprévu dans le lynchage d’un chauffeur de bus à Bayonne ou dans la mise à sac des Champs-Elysées après un match de foot. La nature humaine n’ayant pas varié d’un iota depuis que Hobbes a écrit son Léviathan, la violence demeure l’expression immédiate de la domination. Celui qui se fait casser le nez pour un mauvais regard n’a pas besoin de lire un traité de philosophie pour comprendre qu’il est dominé, peu importe son diplôme, son statut social ou ses qualités morales. Il est soumis par plus fort que lui. Cette vérité se répète des milliers de fois par jour en France – au rythme des agressions et des malnommées incivilités– mais la société française ne veut rien comprendre.
Il suffit pourtant d’ouvrir les yeux pour entrevoir les causes de l’ensauvagement. Un processus rapide qui répond à deux causes principales : la première révèle une compétition intercommunautaire, la seconde accompagne la désinhibition systématique des individus.
Un pays, deux systèmes
Avec l’immigration de masse, certaines diasporas ont atteint une masse critique qui les qualifie au statut de peuples ou de pré-peuples. Le cas le plus abouti est sans aucun doute celui du peuple maghrébin de France, une nouvelle réalité humaine qui unit des Marocains, des Algériens et des Tunisiens et affirme son droit à pratiquer un mode de vie alternatif. Cela va au-delà de la simple question de la laïcité et se cristallise sous la forme d’une contre-société incarnant des valeurs et des mentalités opposées ou du moins concurrentes à la manière française de voir le monde.
Et pour s’affirmer un peuple cherche toujours à afficher sa fierté d’être lui-même c’est-à-dire d’être différent (ça rappelle un slogan de SOS Racisme…). Or, la fierté des uns signifie l’humiliation des autres. Et la plupart des êtres humains ne savent pas humilier autrui en dessinant des caricatures ou en composant des pamphlets, ils préfèrent brûler, cogner et cracher.
L’abruti qui cabre son scooter alors qu’il défile à toute vitesse en bas de chez vous veut vous dire qu’il contrôle la rue, pas vous ni votre police. Il méprise votre langue française, fragile et précieuse, et lui préfère le langage de la violence, direct et sans ambiguïté. Un langage qui s’exerce souvent à même la peau sans l’intermédiation des concepts qui atténuent la brutalité des rapports de force. Cette peau que l’on poignarde pour un oui ou pour un non, cette peau du visage que l’on taillade comme l’on marquait le bétail jadis pour rappeler à tous qui est le maître à bord.
La victime, sidérée par l’agression, porte le stigmate de l’infériorité et le fait porter à sa famille entière, incapable de la protéger et de la venger. L’humiliation avance alors par cercles concentriques jusqu’à blesser l’égo de la communauté à laquelle elle appartient. Voyez la réaction épidermique des Tchétchènes à l’agression d’un des leurs à Dijon : quatre nuits d’émeutes. Si leur réponse a été illégale du point de vue du droit, a-t-elle manqué sa cible selon le plan des symboles ?
Quand on tabasse un policier, c’est toute la France que l’on humilie. Quand on accuse la police française de racisme systémique, c’est tout un peuple que l’on prive de son droit à la légitime défense.
Il n’y a donc rien d’anodin dans l’avilissement des Champs-Elysées et des abords de la Tour Eiffel chaque nuit du 14 juillet. Ce sont les symboles de la France, de sa souveraineté et de sa majesté, que l’on met à terre. Cette violence n’est pas gratuite, elle est politique.
Bien entendu, la plupart des Maghrébins sont innocents de cette violence et une proportion non-négligeable parmi eux rejette le séparatisme. Il n’empêche, le processus qui fait émerger un peuple maghrébin de France a lieu en sourdine dans les cœurs et les esprits. Les gueules cassées et les voitures incendiées ne sont que des étincelles d’un feu de tourbe qui se consume sous nos pas.
Des hommes qui ne s’empêchent plus
La deuxième dynamique à l’œuvre derrière l’ensauvagement de la société française prend sa source au cinéma et à la télévision.
Confronté à une raréfaction des contenus de qualité (donc à une crise de l’inspiration), le secteur audiovisuel n’a eu cesse de légitimer le recours à la violence comme l’ultime frontière de la création. Ce faisant, il détruit un à un les tabous et banalise ce qui était inconcevable dans le monde de nos parents. Plus rien n’est sacrée ou intouchable. Aussi, est-il fréquent d’assister au passage à tabac d’un agent de police par un malfrat ou au viol d’une femme devant son conjoint. Ces horreurs nous sont servies avec la rapidité et la résolution de la fibre sans que personne n’y trouve rien à y redire. De toute façon, les institutions sont dévitalisées et trop faibles pour s’indigner : familles et église(s) ont la langue coupée.
Il n’est plus question d’amuser ou de cultiver le client-spectateur mais de le désinhiber pour en faire un homme qui ne s’empêche pas. Un sauvage qui frappe pour se faire entendre mais qui n’oublie pas de consommer et de répondre aux stimuli marketing quand lui envoie en continu.
Qu’elle soit d’origine politique (au sens décrit ci-dessus) ou audiovisuelle, la violence ne bute sur aucune limitation, le laxisme pénal ayant contaminé les instances censées rendre la justice. En France, la punition relève désormais de l’ordre de l’exception. Les prédateurs ne sont pas impressionnés par les rappels à la loi et les peines alternatives.
A qui profite le crime ?
A tous ceux qui ont besoin de diviser pour mieux régner. La violence polarise la société entre dominants et dominés et soudain le corps social se fragmente en une myriade de contentieux : les hommes violents contre les femmes battues, les parents apeurés contre les adolescents incontrôlables, les immigrés contre les autochtones, les Maghrébins contre les Tchétchènes, les automobilistes contre les cyclistes, les végans contre les bouchers, les numéros pairs contre les numéros impairs…
Nombre d’élus et de grand commis de l’Etat ferment les yeux de peur de perdre un réduit électoral ou de déplaire aux bien-pensants. Ces traitres de la cause du peuple servent (parfois sans le savoir) des oligarchies puissantes qui méprisent la démocratie et rêvent de démanteler les acquis sociaux des Trente Glorieuses. A leurs yeux, les enjeux mondiaux sont trop techniques pour que la majorité ait son mot à dire (climat, migrations, Europe, bioéthique) et la croissance trop anémique pour qu’il y ait encore quelque chose à redistribuer. Alors, on lâche les hyènes sur le citoyen qui sous la violence des coups et des crachats perd de vue le hold up en cours. Désorienté et sous l’emprise de la peur et de la honte, il ne peut pas comprendre qu’il est le dindon de la farce.
Non, la violence n’a rien de gratuit.
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