Une des maladies de notre époque consiste à lire le monde selon la catégorie de la race et à enfermer les individus dans ce que la couleur de leur peau leur autorise ou leur interdit. Il y a donc des méchants blancs face à des gentils noirs et latinos. Il y a aussi des mâles hétéros violents et dominateurs face à des femmes bonnes par essence et des homosexuels nobles par définition. Ce délire tient lieu de morale. Ces sottises déterminent qui a le droit de parler et celui qui doit se taire et n’ouvrir la bouche que pour s’auto-incriminer.
Obnubilée par la couleur de la peau, la frange la plus stupide de nos élites voit le privilège blanc partout alors que la condition humaine est invariablement synonyme de souffrance et de frustration depuis Adam et Eve. C’est vrai chez les riches et les pauvres, les beaux et les moches, les forts et les faibles, les noirs et les blancs.
Personne n’échappe à la malédiction du temps qui passe, à la nécessité de souffrir pour apprendre ou encore au spectacle de la dégradation de son propre corps au fil du temps. Il n’y a de privilège blanc que chez ceux qui ont de la vie une conception superficielle, indirecte et cybernétique c’est-à-dire cette génération de gosses de riches nés après la Chute du Mur de Berlin voire après le 11 Septembre et qui, au lieu de croquer l’existence, se limitent à la caresser par-dessus un écran plat.
Ces fils à papa sont trop éloignés du marché du travail réel pour percevoir l’étendue des discriminations subies par les seniors, qu’ils soient blancs, noirs ou jaunes, hommes ou femmes. Ils sont trop aliénés pour ressentir la souffrance des agriculteurs français qui se suicident devant l’indifférence de ceux qu’ils nourrissent (deux suicides par jour en France). Ces travailleurs sacrifiés sont en majorité des hommes blancs de plus de 65 ans. Comment parler de privilège blanc quand l’économie élimine méthodiquement des pans entiers de la population active blanche via le suicide et la maladie mentale, enfants légitimes du chômage et de la précarité ? Il faut être sacrément myope pour voir un privilège blanc chez le prolétariat nord-américain qui, pour la seule année 2018, a connu 50 000 morts par overdose à cause des opiacés, la drogue du « petit blanc ».
La diversité à tout prix
Et pourtant la bêtise paye. La myopie mène loin. Il semble que cette génération perdue ait pris le contrôle sur Hollywood et de l’Académie des Oscars en particulier. Elle a décrété qu’il y a privilège blanc et qu’il fallait en effacer les effets coûte que coûte quitte à ruiner ce que l’Amérique a de plus beau : sa liberté de créer.
Dès 2024, pour espérer prétendre à l’Oscar du meilleur film, il faudra cocher des cases comme lorsqu’on remplit une demande de subvention à la mairie du coin.
Et pourquoi ne pas obliger la NBA à réserver des places aux joueurs blancs ? Et sur un autre plan, pourquoi ne pas décréter que l’armée américaine aligne autant d’hommes que de femmes face à DAESH ? A ce rythme, il faudrait peut-être légiférer pour s’assurer que le nombre de victimes mortes pour la patrie reflète la proportion exacte d’homosexuels et d’hétérosexuels dans la société, d’hommes et de femmes, de musulmans et de catholiques.
La racialisation à outrance du débat public peut mener à ça c’est-à-dire à la paralysie du corps social et à la guerre de tous contre tous.
En attendant, l’on fait passer les minorités (à protéger) pour des enfants incapables d’obtenir ce qu’ils souhaitent par le travail et le dépassement de soi. On assimile les femmes, les noirs et les latinos à des demeurés qu’il faut garder sous perfusion au risque de les voir s’effondrer sur eux-mêmes, absorbés par leur propre vacuité. Il y a quelque chose de profondément insultant dans cette posture paternaliste. On ferait mieux de libérer les femmes des geôles de l’industrie pornographique qui gagne de l’argent par la mise en scène du viol et de la torture. On ferait mieux d’affranchir la figure du noir Américain (et du noir tout court) des stéréotypes avilissants du rap et du hip-hop où l’homme est un animal en rut et la femme un objet de désir tenue en laisse.
Vive le statu quo !
L’intrusion des gosses de riches écervelés dans le débat sérieux de la diversité et des inégalités est le meilleur moyen de noyer le poisson et de maintenir le statu quo.
A ce titre, la question noire est l’archétype du débat constamment ajourné. Au lieu de se disputer sur la couleur du futur Batman, on devrait délivrer les quartiers noirs des gangs qui y forment une contre-société dont la fonction est de saboter les jeunes qui veulent étudier, travailler, s’en sortir, briller. Il faudrait analyser (et réformer) les traits culturels qui autorisent les pères à disparaître de la circulation abandonnant les mères et les enfants. Il y a lieu de comparer les performances des minorités asiatiques et noires pour déterminer les facteurs clefs qui déterminent la meilleure insertion dans les voies de l’excellence. L’enjeu est de multiplier les parcours individuels d’exception afin de disposer d’une avant-garde afro-américaine composée de nouveaux Barack Obama et autres Colin Powell. Que les noirs accèdent au pouvoir au lieu d’être des auxiliaires des élites américaines blanches les plus cyniques et hypocrites.
Tant qu’il y aura des hommes
Pris au piège du politiquement correct, le cinéma américain, le premier au monde, devra s’adapter aux enfantillages de la nouvelle Ligue de la Vertu. Il devra composer avec le retour en force du puritanisme sauf que cette fois ce n’est pas la durée d’un baiser sur la bouche que l’on régule mais le fait qu’un homme ose encore embrasser une femme. Le nouveau puritanisme exige plutôt qu’un homme pose ses lèvres de la manière la plus langoureuse qui soit sur celles d’un autre homme. La mécanique est la même : utiliser la morale pour museler les artistes et exercer un pouvoir sur la société.
Mais je demeure confiant et optimiste. L’Art triomphe parfois des entraves et des frontières artificielles car il participe de la même essence que l’Inconscient. On a beau le refouler, il s’arrange pour venir jusqu’à nous pour dire ce qu’il a nous dire qu’on le veuille ou non.
En 1959, Joseph L.Mankiewicz aborda la question de l’homosexualité dans Soudain l’été dernier. Dans ce film culte, l’on voit une femme (Liz Taylor) servir d’appât pour son mari (Montgomery Clift) qui lui a toujours préféré la compagnie des éphèbes. La dernière scène, d’une grande puissance d’évocation, criait au monde la souffrance de l’homosexuel, que dis-je son martyre, dans un monde où une seule forme d’amour et de désir était permise. Pas besoin de mains aux fesses, ni de diatribes contre le patriarcat pour donner au téléspectateur et à travers lui à la société toute entière un formidable (et salutaire) coup de poing au ventre.
Je suis certain que les cinéastes et scénaristes du futur sauront outrepasser les règles stupides imposées par l’Académie des Oscars pour atteindre le Sublime. Tout dépend de leur sens esthétique et de leur force créatrice mais ces choses-là ne se théorisent pas ni se mettent en équation, elles s’éprouvent tout simplement.
Tant qu’il y aura des hommes.
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