L’Algérie est en colère contre M6 et elle l’a fait savoir il y a quelques jours en retirant à la chaîne l’autorisation d’opérer sur son territoire. Une décision symbolique plus que pratique à l’ère de l’internet et du satellite qui échappent à la juridiction des autorités nationales. On ne peut pas brouiller M6 ou l’empêcher d’atteindre le public algérien qui se débrouillera toujours pour la regarder s’il en a envie.
L’énervement des autorités algériennes a un nom : Enquête Exclusive, le programme d’investigation qui a consacré un numéro à l’immense mécontentement de la jeunesse algérienne. Les doléances sont les mêmes qu’il y a vingt ans et seront probablement les mêmes dans vingt ou trente ans : chômage de masse, désespoir et répression.
Pour autant, il ne faudrait pas en conclure que la censure a élu domicile au sud et que la liberté s’est réfugiée au nord. Jamais en effet, la distance n’a été aussi dérisoire entre Marseille et Alger, Toulouse et Tanger, Paris et Tunis. La France se tiers-mondise à grande vitesse et la profession journalistique en est un triste reflet, elle qui a perdu le semblant de liberté qui la caractérisait encore au début du siècle, elle qui a renoncé à la pluralité des opinions pour devenir le porte-voix des oligarchies qui font et défont les carrières politiques. La presse française diffuse la propagande, aimable, souriante et irrévérente, dictée par les lobbies qui ne veulent plus entendre parler de la cause du peuple et encore moins de sa souveraineté. Du Monde au Figaro en passant bien sûr par BFM TV ou France Inter, c’est la même lecture du réel : ouvrez les frontières, aimez l’étranger plus que vous-mêmes, démolissez le patriarcat car l’homme est mal, détestez-vous parce que vos grands-pères ont colonisé, l’Europe c’est bien même si ça va nulle part, Poutine est méchant, Trump est dangereux, Bolsonaro mange des enfants…
A la limite, les journalistes algériens ont au moins l’excuse de faire la propagande malgré eux. Car s’ils résistent et osent faire leur métier, ils risquent la prison, les représailles et l’exil. Difficile d’être professionnel quand on a un fusil braqué sur la tempe. En revanche, la presse française se soumet sans qu’on le lui demande. Elle s’autocensure et s’autorégule à merveille sans avoir besoin d’être pistée par les services secrets. Elle marche spontanément dans le chemin étroit qui lui a été dessiné par une main invisible, un chemin qui la mène au précipice puisqu’elle a perdu sa crédibilité.
Subventionnée par l’Etat et détenue par des grandes fortunes, elle est aussi peu indépendante que les médias du la rive sud de la Méditerranée. La seule différence est que nous les Maghrébins sommes vaccinés contre la propagande. Nous ne croyons plus rien car on nous ment depuis tout petits alors que les Français ont connu encore récemment une certaine liberté de la presse. Ils ont vécu dans un monde où les journalistes rendaient encore compte du réel. Cette époque est révolue et les Français ont besoin de temps pour s’y faire et perdre leurs illusions.
Bien sûr, il y a Zemmour, Bercoff et Polony. Ils sont courageux et ont du talent mais qu’est-ce qu’ils sont isolés ! Ils ne font pas école (pas encore) et ne contrôlent pas les rouages d’une grande maison comme Radio France ou France Télévisions. Ils sont donc loin de rétablir l’équilibre et de réinstaurer ne serait-ce qu’un semblant de pluralité dans les médias français.
D’ailleurs, au moment où la Diversité est sur toutes les lèvres, elle n’a jamais été aussi faible. On a beau avoir des journalistes noirs, arabes et gay, ils disent tous la même chose. Ils sont libres de répéter la doxa, ils ont le droit de diverger sur les nuances mais l’essentiel est de l’ordre de l’intouchable. Tabou. On ne donne jamais le nom des criminels sauf qu’on est sûr qu’ils sont Français de souche, on ne donne jamais la parole à la victime, on ne relie jamais l’effet à la cause quand l’immigration, le fanatisme et la violence se retrouvent dans le même paragraphe. Eh bien entendu, toute bavure policière commise sur une minorité est automatiquement classée comme un acte raciste alors qu’un coup de couteau asséné à un Français par un étranger ne peut jamais prétendre au statut d’agression raciste ou xénophobe.
Dans ces conditions, il est difficile de donner des leçons de démocratie même au gouvernement algérien.
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