Il y a quelques jours, des vandales ont jeté des pierres sur les bus flambant neufs de la régie de transport urbain de Casablanca. Une dizaine de bus ont eu leurs vitres brisées. Dans les 24h, la police marocaine a procédé à des interpellations, les prévenus sont en prison préventive et vont être jugé incessamment sous peu. Ils risquent gros : la dernière fois qu’un jeune a cassé la vitre d’un bus, il a été condamné à trois ans de prison ferme (Rabat, 2019).
En France, les mêmes faits auraient nécessité des mois d’investigation avec des expertises et des contre-expertises, des querelles entre les psychiatres et le parquet autour des « motifs du passage à l’acte » , des polémiques entre la RATP et le Conseil Régional sur le remboursement des dégâts, des manifestations de soutien aux jeunes par les « grands frères », des tweets rageurs des syndicats de la police, des menaces sur les familles des chauffeurs des bus pour qu’ils se rétractent le jour du procès…et au bout, après des dizaines de milliers d’euros dépensés : un simple rappel à la loi voire (au mieux) un sursis. Et bien sûr, j’allais oublier la polémique sur l’âge des accusés : mineurs aux yeux des ONG, grands gaillards de trente ans aux yeux de toute personne lucide.
Pourtant, que ce soit à Casablanca, Grenoble ou Lille-sud, il s’agit souvent de la même jeunesse : maghrébine et profondément attachée aux mentalités en vigueur en Afrique du Nord. Je dis bien « souvent » pour ne pas stigmatiser ceux qui se comportent correctement et ils sont nombreux.
Le Maroc sait gérer cette jeunesse lorsqu’elle déborde. La France ne le sait pas ou ne le veut pas. Il faut intervenir vite et fort car la culture maghrébine apprécie la justice quand elle est rapide et décisive. Les sentences doivent tomber vite et avoir un impact. Pas de sursis ni de mise à l’épreuve : soit on est innocent, soit on part en prison. Les mentalités maghrébines n’admettent pas l’amnistie systématique offerte aux noms des « inégalités sociales ». Entre nous, l’Etat marocain a raison, il agit en fonction de l’état d’esprit de la société dont il a la tutelle. C’est la France qui campe autour d’idées périmées et réputées inopérantes.
Loin de moi l’idée que l’Etat marocain soit un parangon de la bonne gouvernance. Je dis simplement qu’en matière de sécurité et de maintien de l’ordre, il y a deux stratégies seulement : celles qui marchent et celles qui échouent. Il n’est pas question de torturer, de condamner des innocents ou de commettre l’arbitraire, il s’agit d’offrir aux gens une autorité qui corresponde à leurs mentalités. Chez nous au Maroc (et chez vous dans les cités), l’autorité se doit d’être omniprésente, visible (au point d’être palpable) et célère. Les Français devraient sérieusement y songer s’ils ne veulent pas continuer à déverser des milliards sur des territoires qui se détachent progressivement de leur pays tels des morceaux de banquise qui prennent le large.
Une fois que l’on a résolu le problème sécuritaire, l’on peut avoir l’esprit libre pour s’occuper de ce qui importe vraiment : le problème politique. Et pour le coup, le Maroc et la France se retrouvent sur un pied d’égalité.
Au Maroc, voyous ou pas, les jeunes qui caillassent les bus ont besoin d’un avenir. Ils veulent se marier, avoir des enfants, habiter un logement décent et se soigner dans des hôpitaux où la dignité humaine est respectée. Ils aspirent à l’élévation sociale comme tout le monde, quoi de plus légitime. Or, tout ce que je viens de décrire est hors d’atteinte pour la majorité des jeunes marocains.
Un moment donné, il faudra leur dire la vérité : qu’ils n’ont aucune chance de vivre dans un monde meilleur. Ou bien, il faudra leur faire une place quitte à bousculer ceux qui bloquent la création de richesses et entravent l’ascenseur social.
En France, la même jeunesse maghrébine pose un défi politique d’une autre nature. Sa lutte est nationaliste. Les jeunes qui assiègent des commissariats et les bombardent au mortier revendiquent une souveraineté, ils n’expriment pas un malaise social. Ils sont l’avant-garde d’un peuple nouveau qui s’estime aussi légitime que le peuple français de souche. Ce peuple en émergence est fort déjà de plusieurs millions d’habitants et combine (pour le moment) les éléments arabes, berbères et noirs. Je dis bien « pour le moment » car rien ne nous assure que la Diversité des immigrés ne se retournent contre eux et que nous voyions dans le futur des tensions entre Maghrébins et Sahéliens, sur la question de la traite négrière musulmane par exemple (je lance ici une perche aux esprits brillants qui réfléchissent en ce moment à la lutte contre le séparatisme).
Pour l’instant, le problème politique que je viens d’esquisser est étouffé par la myopie des observateurs officiels. Il gagnera une acuité aveuglante le jour où une élite immigrée prendra les devants pour exiger « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ».
En attendant, les élites françaises parlent au nom de la jeunesse immigrée, elles l’ont convaincue du « privilège blanc » et de la « culpabilité coloniale ». Or, ce ne sont que des broutilles comparées au réveil d’un peuple qui aspire à l’émancipation politique. Demain, c’est un parti de l’Istiqlal qui va se former en France (Istiqlal : indépendance en Arabe).
Vous voyez comme moi l’iceberg qui se profile à l’horizon? Si oui, écrivez un courriel à votre député pour qu’il s’achète des jumelles lui aussi. Et profitez-en pour transférer le même message à votre eurodéputé car le même problème se posera en Hollande, en Belgique et en Allemagne.
Pour conclure, je citerai Driss Basri qui fut Ministre de l’Intérieur sous Hassan II. Interviewé par Al Jazeera en 2005 alors qu’il était en disgrâce à Paris, il déclara : « Les services secrets n’ont jamais créé d’emplois » (en Arabe dialectal : « al mukhabarate ma kate wakalsh al khoubze »). Autrement dit, maintenir l’ordre est certes nécessaire mais ne suffit pas pour répondre aux attentes de la population. C’est une loi universelle, me semble-t-il, elle s’applique en France, au Maroc comme en Chine ou au Venezuela.
Le corona offre une trêve providentielle, quelques mois pour gagner du temps et mettre au congélateur le problème politique. Des deux côtés de la Méditerranée, les jeunes se sont laissés convaincre que le virus est l’unique préoccupation légitime. C’est habile mais insuffisant car rien ne peut faire oublier à un jeune son propre agenda. On ne peut pas refouler le réel. Comme l’inconscient, le réel a toujours le dernier mot. Enfermez-le à double-tour, il s’arrangera pour se travestir derrière des poussées de fièvre et des accès de violence. Alors, on lui envoie la police ou les blouses blanches, on fait baisser la tension mais la racine du mal demeure intacte.
Article publié à l’origine sur Causeur.fr le 27.02.2021
Leave a Comment