Au début de la guerre d’Algérie, médias et gouvernement ne voulaient pas appeler un chat un chat. Ce n’était pas une guerre mais une succession d’actes de banditisme, imputés non pas à des insurgés mais à de simples Hors La Loi (HLL dans le langage militaire de l’époque). Il a fallu du temps et des morts pour ouvrir les yeux et reconnaître le caractère insurrectionnel des « évènements » d’Algérie. De nos jours, c’est pareil. On parle de loups isolés, de déséquilibrés et de trafiquants de drogue, tous « radicalisés » en deux temps trois mouvements. La logique est la même, fondée sur le déni et le sacrifice assumé de centaines d’innocents, civils et forces de l’ordre.
A Carcassonne, la France a été une nouvelle fois humiliée. Sur son sol, elle a vu un lieutenant-colonel se faire égorger par un voyou. L’excellence républicaine, la méritocratie, a été outragée de la manière la plus vile des mains d’un trafiquant de drogue de basse catégorie. Trop c’est trop, il est temps de se retrousser les manches pour gagner cette guerre.
Il faudrait commencer par regarder l’ennemi en face pour comprendre sa véritable nature et ses objectifs stratégiques.
Qui nous en veut au juste ? L’islamisme c’est-à-dire une version de l’Islam, dynamique et séduisante, et défendue par des gens déterminés et agressifs (contrairement aux aimables Soufis et autres tenants d’un Islam modéré). En l’occurrence, les Frères Musulmans ont mis à jour un logiciel qui catalyse et justifie la haine de l’Occident. Tous ceux qui s’en inspirent (d’Al Qaeda aux salafistes dits quiétistes) détestent ce que le reste du monde nous envie : l’empire de la raison, le progrès scientifique, la mixité et la démocratie.
Que veulent-ils de nous et jusqu’où sont-ils prêts à aller pour y parvenir ? Les islamistes veulent conclure l’OPA lancée il y a vingt ans sur les musulmans d’Europe. L’Islam est installé au cœur des métropoles les plus riches du monde (Paris, Amsterdam, Londres) et les islamistes veulent prélever l’impôt révolutionnaire sur les diasporas musulmanes.Ils veulent leur part du gâteau c’est-à-dire un % du PIB de l’Union Européenne.
L’ennemi a compris qu’il n’a aucune chance d’arriver à ses fins à la régulière c’est-à-dire au moyen d’une confrontation militaire classique. Il a choisi de nous faire la guerre dans la foule[1] , au beau milieu des Français de toute origine et confession. Nous n’y pouvons rien. On peut toujours « convoquer » l’Etat Islamique pour un duel en Syrie ou en Libye, il s’y récusera et nous « tapera » à Bondy ou au cœur de septième arrondissement. L’ennemi est partout et nulle part, il ne porte pas d’uniforme ni arbore de drapeau. Il se sert de nos institutions comme d’un bouclier protecteur (accès aux allocations, respect de la vie privée, garantie d’un procès équitable etc.). Le seul moyen de gagner est de porter nos efforts sur la population en soi et non sur un ennemi insaisissable. On peut toujours courir après les frères Kouachi et toutes les petites frappes radicalisées de France et de Navarre. Il le faut mais ce n’est pas suffisant. Le vrai objectif à poursuivre, la seule politique à garder à l’esprit est de s’assurer que l’épicier du coin et le voisin de palier n’hésitent jamais à décrocher le téléphone pour informer les autorités d’une attitude suspecte. Il faut se battre pour la loyauté et la collaboration des populations les plus fragiles.
Un officier français, David Galula, a théorisé dans les années soixante les concepts de la contre-insurrection. Saint-Cyrien lui aussi comme Beltrame, Galula explique que toute communauté se scinde en trois groupes : la majorité silencieuse qui ne pense qu’à vivre tranquillement sans jamais prendre parti, une minorité très active qui souhaite la chute du régime en place et une minorité favorable au status quo. Le gouvernement qui est confronté à une situation insurrectionnelle doit se préoccuper de la majorité silencieuse : il doit absolument la mouiller et l’amener à adopter une attitude bienveillante à l’égard de l’ordre établi. Pour y parvenir, il doit d’abord la libérer de l’emprise de la minorité acquise à la cause rebelle. Ensuite, il pourra s’appuyer sur ses alliés naturels (la minorité favorable au statut quo) pour diffuser la bonne parole.
Dans le contexte qui est le nôtre en France, il est clair que la plupart des musulmans se taisent parce qu’ils ne se sentent pas concernés. Dans certains cas, ils sont intimidés voire menacés par des extrémistes venus d’ailleurs et qui ont su faire alliance avec les mafias de la drogue pour dominer les territoires perdus de la république. Si rien n’est fait, les musulmans du quotidien vont continuer à dériver petit à petit vers un Islam vindicatif et anti-français.
Si Galula était vivant, il commencerait par mettre sur pied un plan pour libérer les musulmans de la grippe des extrémistes. Isoler les éléments les plus radicaux et nocifs du reste de la population. D’un point de vue pratique, cela reviendrait à agir sur deux segments : les délinquants multirécidivistes et les salafistes. A eux deux, ils tirent un cordon sanitaire entre la France et des millions de musulmans condamnés à vivre dans une contre-société. Les instruments sont connus de tous : reforme des prisons, application réelle des procédures pénales, retour de la double-peine etc. En plusieurs endroits du territoire, il faudra aller plus loin et mettre sous tutelle les communes qui ont sombré dans le communautarisme. Vouée à être transitoire, ce mécanisme exceptionnel permettra de concentrer les efforts de l’Etat sous la houlette d’un « préfet spécial » capable de coordonner, à l’échelle d’une cité ou d’une ville, les actions de la CAF, du Fisc, de la police et de l’éducation nationale. Il y aura de la résistance voire des émeutes de grande ampleur. Mais le jeu en vaut vraiment la chandelle. Ils seront nombreux à crier à l’islamophobie mais pensez à cette minorité agissante qui veut absolument la victoire des islamistes : laissez-les s’époumoner et faites le boulot ! Il ne sert à rien de perdre du temps à les convaincre, l’objectif principal est de se rapprocher de la majorité silencieuse dont ils ont kidnappé la représentation.
Une fois les musulmans débarrassés des quelques centaines de voyous et de salafistes qui leur pourrissent la vie, il sera possible de travailler au corps la majorité silencieuse. Un des axes les plus évidents est celui des médias. Il est tout de même scandaleux de voir qu’aucune télévision française ne daigne s’adresser aux musulmans de France dans leur langue c’est-à-dire l’Arabe et le Berbère. On peut dire autant des portails d’information sur internet voire des pages facebook. Aujourd’hui, la parole de la France est orpheline. Ce qui nous semble évident (que la France est généreuse avec tous ses habitants, que la laïcité garantit les droits de tous les cultes) ne parvient pas à ceux qui ont besoin d’en être convaincus. Eux regardent Al Jazeera qui leur rappelle chaque soir le conflit israélo-palestinien et les horreurs du Moyen Orient. Ils ne comprennent pas suffisamment le Français pour suivre un débat sur France Télévision. Et bien souvent, l’ignorance alimente un sentiment de mépris et de haine. On déteste ce qui nous semble irrémédiablement inaccessible comme la culture française avec ses codes complexes et ses règles tacites. Comme on ne peut pas lire Balzac, on s’accroche à des messages nocifs comme Nique la France ou La France pays colonialiste dont le but de rééquilibrer le rapport de force et se sentir moins diminué.
Un travail de fond doit être fait sur les discours. Les musulmans ont désespérément besoin de symboles positifs. Ni terroristes, ni footballeurs. Si une télévision arabophone ou berbérophone voit le jour dans le paysage audiovisuel français, elle doit présenter des modèles à suivre et non des stars à envier. Moins d’humoristes et de rappeurs et plus d’avocats, de médecins et de professeurs.
Dans l’espace de cet article, je me suis limité à esquisser quelques pistes. Galula lui prévoyait une stratégie en treize étapes pour obtenir l’adhésion de la majorité silencieuse. La tâche est titanesque non pas parce qu’elle coûte cher mais parce qu’elle nécessite de mener plusieurs chantiers en même temps. Nous n’avons pas le choix. On ne devient pas le premier pays musulman d’Europe sans comprendre l’Islam ni se préparer à vivre avec une religion sans cesse secouée par le fanatisme. La France est un pays multiculturel, elle doit en tirer toutes les conclusions sans exception. Nombreux sont les musulmans qui sont prêts à l’aider.
Driss Ghali
Conseil de lecture :
Le principal ouvrage de David Galula a été réédité en 2008 par les Editions Economica : Contre-Insurrection, théorie et pratique.
[1] L’expression est de Jean Némo, un officier français de la Guerre d’Algérie.
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