Premier article de notre série consacrée au Brésil à la veille des élections du 7 octobre 2018
Le peuple brésilien s’apprête à voter en octobre prochain pour élire président de la République, députés et sénateurs. Contrairement à ce que l’on pourrait espérer, le futur chef de l’Etat et les élus qui arriveront au pouvoir en janvier 2019 (date d’investiture de la prochaine législature) auront un rôle qui oscillera entre la figuration et la gesticulation stérile. Leurs mains seront attachées par les décisions et les engagements pris au nom de la nation entière par leurs prédécesseurs qui ont littéralement gagé le sort du pays.
Qu’est-ce que le Brésil et quelle est la nature de son système politique ? Le Brésil est un pays riche sur le papier mais pauvre en réalité. Il déborde de ressources naturelles (eau douce, minerais, terres fertiles, bois etc.) mais dispose d’une population peu ou mal équipée pour affronter le monde d’aujourd’hui, mondialisé et compétitif. La productivité est faible, une fonction directe de la valeur de la ressource humaine. Pour se faire une idée du décrochage du Brésil, il suffit de prendre note que 70% des élèves issus du cycle secondaire (collèges et lycées) présentent des déficits graves quant à la maîtrise du Portugais et des Mathématiques (chiffres officiels du Ministère de l’Éducation Nationale parus septembre 2018).
Ce pays qui ne prend pas soin de sa matière humaine s’est doté d’une constitution imbibée de socialisme et d’angélisme et qu’il traîne comme un boulet depuis 1988. En effet, au sortir de la dictature militaire (1964-1985), le Brésil a pris le temps (trois ans !) pour écrire une constitution qui ressemble à une sorte de boîte postale ou de mur des lamentations où tous les groupes d’intérêts privés ont pris soin de glisser leurs doléances. Depuis, l’Exécutif est tenu de donner à chacun ce qui lui revient de droit : les Indiens, les instituteurs, les retraités, les agriculteurs, les victimes de la dictature etc. Le budget fédéral est contraint par des dépenses obligatoires (plus de 90% des engagements de l’Etat) et l’Exécutif est devenu une sorte de comptable qui supervise la distribution des chèques « dus » à tous les groupes cités dans la Constitution. Investir est mission presque impossible car l’argent manque toujours une fois que l’on a payé salaires, retraites et réparations. Réformer est une vue de l’esprit car on ne peut pas toucher à ce qui est écrit dans la Constitution à moins de se lancer dans une coûteuse réforme constitutionnelle.
La nature du système politique brésilien dépend donc de l’héritage funeste de la Constitution de 1988. L’Etat est le père de tous les Brésiliens, à lui revient de les nourrir, les vêtir et les éduquer. L’homme politique qui arrive au pouvoir revêt la figure paternelle et devient, le temps de son mandat, le responsable de la survie et du bonheur de ses concitoyens. Ce père n’est ni bienveillant ni un « bon père de famille » : il se sert dans la caisse, il dépense les économies du ménage pour ses besoins propres et maintient ses « enfants » dans l’ignorance.
Depuis 1988, les élections se suivent et se ressemblent : l’électeur est à la recherche d’un père, Lula ayant été la figure parfaire du père latino : grande gueule, porté sur la boisson et court-termiste. En octobre, un nouveau père, Bolsonaro, prendra peut-être le pouvoir. Ce sera un père fouettard qui tire les oreilles de celui qui fume du cannabis ou vole à l’étagère mais il s’agit d’un père quand même qui ne fera rien pour émanciper la société du joug d’un Etat qui l’infantilise.
Dans ce contexte, il n’est pas très surprenant d’apprendre que le Brésil est probablement le pays le plus à gauche du monde occidental. Ici, il n’y a pas de droite ou presque. L’ensemble du spectre politique tourne autour de la gauche et du centre-gauche. Contrairement à la Colombie par exemple, le Brésil n’a jamais eu de président de droite depuis la fin de la dictature militaire en 1985. Les mots conservateur ou libéral sont de ce côté-ci des tropiques une sorte d’anathème que l’on jette à celui que l’on veut condamner au silence et à la marginalité.
Un sondage effectué en 2008 auprès des professeurs du primaire et du secondaire a montré que pour plus de 80% d’entre eux Che Guevara est une figure admirable. 70% d’entre eux admettent faire de propagande en salle de classe au profit des idées communistes et socialistes. L’ensemble des universités publiques gravitent dans la sphère de la gauche et de l’extrême gauche. Il suffit de mettre les pieds dans la prestigieuse Universidade de São Paulo pour se sentir à Cuba ou dans une démocratie populaire : l’architecture, la frugalité des installations et des services offerts, la prolifération de cercles de réflexions marxistes et les slogans peints sur les murs…Tout est glorification de la pensée de gauche dans sa version la moins tolérante et la plus rétrograde. Il est difficile même de trouver un professeur de sciences humaines qui « ose » se désolidariser vraiment des crimes du stalinisme.
Le Brésil est en arrivé là par la maestria des leaders de gauche historiques (dont Lula, José Dirceu et d’autres) et par les capitulations successives des classes dominantes traditionnelles qui n’ont pas compris le danger réel que représente l’hégémonie culturelle de la gauche. Nous reviendrons en détail sur le basculement du Brésil dans l’escarcelle des « pays communistes » dans un prochain article.
Pauvreté de la ressource humaine, constitution funeste, infantilisation du corps social et hégémonie de la gauche, tel est le tableau que l’on peut esquisser du Brésil aujourd’hui. Bien entendu, l’on pourrait aussi mentionner l’insécurité et les déséquilibres économiques ou les questions environnementales mais il me semble que ce qui fait la spécificité du Brésil réside dans la manière dont ce pays fait de la politique et créé du politique. En cela, il est absolument différent des Etats-Unis et de la France même s’il partage avec l’un l’immensité du territoire et avec l’autre une appétence prononcée pour l’Etat-Providence.
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