La promesse d’un Islam de France fait partie de ces impostures contemporaines dont la seule vertu est d’endormir le citoyen et lui faire croire à des lendemains qui chantent. Il ne sert à rien de fantasmer sur une religion déradicalisée car l’Islam n’est pas un objet de laboratoire que l’on peut modéliser et manipuler. Ce n’est pas non plus un régime alimentaire duquel on peut retirer les protéines ou une boisson gazeuse que l’on peut délester de ses calories.
Cet OVNI nommé civilisation
Toute religion est liée à une civilisation qui lui donne une continuité historique. Et chaque civilisation a besoin d’une matière humaine pour exister. Quoi qu’elle fasse, la civilisation française n’aura aucune emprise sur l’Islam. Il lui est étranger et ne lui a jamais appartenu. Il y a des choses que seule une mère peut dire à ses enfants et la France n’a pas engendré l’Islam. Bien au contraire, elle s’en est préservée tout le long de son histoire. Il revient à la civilisation musulmane de réformer l’Islam et à elle seule.
Existe-t-il une civilisation musulmane en France ? La réponse est « pas encore mais ça ne saurait tarder ». La civilisation musulmane vient, pour la première fois, de franchir les Pyrénées. Elle compte désormais des millions d’adeptes au nord de la Loire et à l’est du Rhin. Événement historique aux proportions incommensurables ! Quand Mme Merkel a appellé un million de réfugiés en Allemagne, elle a exaucé en quelques mois le rêve millénaire d’une civilisation.
L’expérience prouve tous les jours que l’assimilation et l’intégration ne marchent pas ou pas suffisamment. Il n’y a pas assez de métissage et chacun campe sur son héritage et sa différence, convaincu de son droit à la différence. Or, les civilisations ne s’empilent pas comme les étages d’un building. Elles ne s’alignent pas non plus comme les boutiques d’un centre commercial. Elles n’aiment pas la promiscuité. La diversité, telle que nous l’entendons, leur fait horreur. Cela ne veut pas dire qu’elles exècrent le dialogue et l’échange, elles ont juste besoin de le faire au goutte-à-goutte pour ne pas se diluer. Elles aiment contrôler la vitesse des échanges. Pour elles, tout est une question de rythme.
Leur obsession est celle d’un monarque : durer et transmettre le pouvoir à qui de droit. Rien à voir avec la mentalité managériale de nos leaders qui envisagent un pays comme une Business Unit appartenant à une multinationale dont le siège social serait à Bruxelles. Ils conçoivent l’exercice du pouvoir comme celui de la « compliance » qui consiste à gouverner en regardant vers l’échelon supérieur et non vers l’arrière c’est-à-dire vers les aïeux. Tout le contraire d’une civilisation qui est une machine à tirer les leçons du passé.
Une civilisation est prudente, même si elle est capable d’accès de colère aussi soudains que cruels. Elle goûte la nouveauté du bout des lèvres et la digère, avec un luxe de précautions. Elle craint d’être empoisonnée par un venin qui pourrait la pourrir de l’intérieur. D’où sa méfiance par rapport à l’Etranger et sa réticence à l’installer tout de suite au cœur de la maison.
Que de choses étranges pour nous autres Occidentaux ! Nous avons oublié les civilisations depuis 1945 lorsqu’un nouveau système international a été mis en place sur les décombres hérités de la Seconde Guerre Mondiale. Depuis, nous souffrons de myopie car nous ne reconnaissons plus que les Etats, les organisations internationales et les ONG. Nous nous gargarisons de la société civile mais elle n’est rien face à la permanence et à la puissance d’une civilisation. Une ONG tombe, change de nom pour qu’un autre reprend sa place, pas une civilisation. Elle est la personnification du temps long car elle n’est pas tributaire d’une cause, elle défend un mode de vie. Sa navigation est similaire à celle d’un continent : une dérive lente et ennuyeuse qui, de temps en temps, remet les hommes à leur place par un déluge de feu et de cendres.
Nous sommes capables de distinguer les ONG des groupes terroristes et des organismes supranationaux mais nous ratons l’essentiel : la lave en fusion qui bouillonne sous la croûte terrestre. Ce manteau rocheux que nous avons perdu l’habitude de creuser depuis que la superficialité est devenue une vertu.
Cette force primaire fait trembler nos constructions et déborder nos rivières mais nous accusons la pierre qui se brise et l’eau qui tourbillonne. Nous confondons les circonstances et les permanences. Les premières sautent aux yeux, les secondes sont accessibles aux seuls initiés. Nous voyons les migrants se jeter à la mer et les humanitaires faire leur show à Lampedusa sans percevoir l’élan d’une civilisation qui a envie de contact, de friction, d’échange, d’en découdre quoi !
Les civilisations sont souveraines. Elles sont faites pour se crisper et se détendre, sans demander l’avis aux sociétés ni aux hommes et aux femmes qui les composent. Elles participent du Divin. Tantôt à l’Olympe, tantôt en enfer, elles habitent des territoires qui nous sont inconnus.
Elles se crispent pour un rien et se détendent pour un rien aussi. Il ne faut pas leur en tenir rigueur. Les crispations identitaires alternent avec les moments de communion universelle. Il n’y a que les progressistes pour s’en offusquer alors que notre avis n’a aucune espèce d’importance. Arrive-t-il aux Indiens d’Amazonie de s’indigner des crues périodiques du Rio Negro ?
Freud nous a appris que l’inconscient a toujours le dernier mot. Les civilisations aussi. Bien qu’elles tiennent fermement le manche, elles nous laissent croire que nous sommes libres et invincibles. Douce illusion.
Les civilisations sont nos mères suprêmes, elles nous ont engendrés et continuent à veiller sur nous, qu’on le veuille ou non. Elles ont le sixième sens d’une mère qui prend soin de ses enfants, où qu’ils soient, même à l’autre bout du monde. Parfois, elles froncent les sourcils et nous confondons leurs rides d’expression avec leurs émotions véritables. Erreur fatale née de l’arrogance et de la superficialité.
Le devoir d’humilité
Certains regardent le Coran comme un manuel d’instruction ou un traité de mathématique que l’on peut résumer ou modéliser. En vérité, il est le fondement d’une formidable aventure humaine, initiée en Arabie, par un peuple de bédouins qui a soudain rencontré la grandeur. Cette aventure dépasse les Arabes, les Perses ou les Turcs, elle est authentiquement humaine. En ce sens, elle est admirable. Toutes les exégèses du monde ne sauront expliquer les raisons du succès de l’Islam. Comment un peuple analphabète, un peuple de chameliers et de commerçants aficionados de la poésie a réussi à subjuguer l’imaginaire de centaines de millions d’êtres humains ? Mystère de la foi et de la civilisation.
Face à cela, il faut de l’humilité : les Français ne peuvent pas toucher au dogme ni au Coran. C’est l’affaire de la civilisation musulmane. Si cette civilisation décide de changer de cap, elle le fera sans nous consulter et nous en subirons les conséquences, bonnes ou mauvaises. Cette révolution peut avoir lieu au fin fond de la Beauce ou sur les berges du Nil, peu importe, elle ne nous demandera pas notre avis.
Ce qui nous concerne en revanche c’est l’émergence d’une civilisation musulmane en France. L’immigration et surtout la démographie transforment la civilisation islamique en une évidence (islamique est synonyme de musulmane, à ne pas confondre avec islamiste). Or, une civilisation a besoin de s’exprimer : elle a besoin du grand air, elle n’aime pas les caves ni les sous-sols. Elle exige des monuments à sa gloire, des paysages urbains à sa mesure, des goûts et des saveurs qui conviennent à son tempérament, une ou plusieurs langues qui la fassent rêver et chanter, une organisation politique qui corresponde à ses mœurs. En résumé, une civilisation a besoin d’exprimer sa constitution mentale. Un jour ou l’autre, la civilisation islamique va exiger tout cela. Pour l’instant, elle se tait.
Les Français vont droit vers un rendez-vous décisif avec l’Islam sans y être préparés. Deux trains roulent l’un vers l’autre à toute vitesse. La civilisation française a la tête baissée par son culte de la repentance et les poches pleines par son génie industriel. La civilisation islamique a la conscience tranquille et elle est assoiffée de gloire après tant d’humiliations et d’échecs, le dernier en date étant la perte de Jérusalem. Ce rendez-vous sera l’occasion de régler les comptes. Or, les Français ont brûlé le livre des comptes dans leur obsession pour le futur, pas les musulmans.
Les civilisations ont la rancune longue et la colère tenace. Les hommes et les femmes peuvent tout pardonner, les civilisations en sont incapables. Les Croisades sont encore une blessure vive, la colonisation aussi. Le Sud n’a pas tourné la page, nous l’avons tourné de la pire manière qui soit en jetant par-dessus bord la civilisation chrétienne qui elle avait la mémoire et la passion de la continuité.
C’est comme ça, les civilisations sont têtues, implacables à la limite de la bêtise. Elles ne sont pas calculatrices, elles sont simplement tragiques : elles préfèrent la belle mort à la survie dans la soumission, c’est ce qui les rend aimables c’est-à-dire d’être aimées. Tant d’êtres humains acceptent de mourir pour elles précisément parce qu’elles sont ainsi : intransigeantes.
Chronique des années à venir
Il est illusoire de croire que la civilisation musulmane acceptera de s’empêcher en France. De vivre sous la ligne du radar. Un jaguar doit chasser, c’est sa nature. Une civilisation doit advenir, c’est sa vocation. Il n’y a pas d’exception à cette règle.
Un jour, l’Islam cessera d’être comprimé. Il voudra respirer à plein poumons et fera voler en mille éclats la laïcité. Il exigera le voile, la ségrégation des femmes, le halal, le calendrier religieux etc. Et s’il ne le fait pas, il va mourir. Une étoile brille ou disparaît dans l’obscurité.
A court-terme, nous allons vivre une paix tendue, envieuse, médisante et amère comme tout mariage de raison. Quand l’amour fait défaut, la victimisation prend le dessus. Chaque conjoint accumule les ressentiments et les colères jusqu’au jour de la grande explication. A ce stade du championnat, la loi inexorable de l’Histoire nous aura rattrapés. Vous pourrez alors relire ce papier et trouver les paroles et les contorsions de votre serviteur bien vaines. La haine parlera plus fort et renverra les modérés à leurs chères études. Car les civilisations ne connaissent pas le gagnant-gagnant. Elles jouent pour vaincre.
D’ici là, profitons du vivre-ensemble à défaut d’avoir inventé un art de vivre. Celui-ci s’apprend et se transmet en famille, ça c’est aussi c’est une affaire de civilisation.
Paru sur Causeur le 12/07/2019
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