En quelques mots, je voudrais souligner ici le caractère absolument inutile et en même temps stratégique de la localité de Tindouf. Cette ville est le néant : elle n’a aucun monument, aucune ressource, aucun charme, aucun cachet. Rien. Pourtant, ce rien cristallise la querelle algéro-marocaine.
Qu’est-ce que Tindouf ?
Tindouf est d’abord un haut lieu de la traite négrière musulmane. Point d’étape niché dans un oasis à 330 km au sud-est d’Agadir, Tindouf a toujours connu les cris et les pleurs des noirs transportés par les commerçants arabes vers les marchés de Marrakech et de Fez.
Ce commerce infâme a duré plusieurs siècles, puis il s’est éteint très vite comme on éteint une bougie avec le doigt. La France a interdit l’esclavage et pourchassé les traitants. De suite, Tindouf se vida de ses habitants. Ne restèrent que les souvenirs et les malédictions gravées dans la pierre par les ongles à vif des captifs. Nous sommes au début du XX° siècle. Le Maroc est sur les rotules, son sultan ne contrôle même pas la banlieue de Fez. L’Algérie est déjà « la France » qui lui a accolé le Sahara, immense territoire avec lequel elle n’a aucune affinité ni aucun lien historique. Au sud, la Mauritanie est un vide humain affilié à l’Afrique Occidentale Française, créée en 1904.
La tragédie se noue à ce moment précis, et en particulier après 1912, date à partir de laquelle le Maroc tombe officiellement sous l’escarcelle de la France. Tindouf , à l’époque, est une zone de non-droit, occupée par la confédération tribale arabe des Reguibate. Personne ne les contrôle ni n’a envie de les contrôler, la région ne recelant aucune richesse particulière qui puisse justifier un déploiement de forces. De 1912 à 1934 grosso modo, la France se contente de contenir la région sans y mettre les pieds. A l’ouest, les autorités françaises au Maroc sont absorbées par la rébellion des berbères du Souss. A l’est, les forces françaises en Algérie répugnent à prendre pied à Tindouf si c’est pour rendre le territoire quelque temps plus tard au Protectorat français du Maroc qui revendique sa souveraineté sur toute la région. Au sud, les militaires de l’AOF sont trop peu nombreux pour peser dans le jeu, surtout que Tindouf est en périphérie de leur circonscription.
On palabre pendant longtemps, sans résultat probant. Le Ministère des Affaires Etrangères (en charge du Maroc), le Ministère de l’Intérieur (en charge de l’Algérie) et celui des Colonies (en charge de l’AOF). Un accord fragile et temporaire est trouvé en 1934 : les méharistes stationnés en Algérie prennent le contrôle de Tindouf avec la promesse de la reverser au territoire marocain plus tard. Un PC des « confins algéro-marocains » est installé à Marrakech, en guise de dédommagement aux Marocains. Il chapeaute la sécurité à Tindouf et aux alentours.
Le provisoire devient définitif les années suivantes. La Seconde Guerre Mondiale passe par : elle brouille les souvenirs et change les hommes.
Après 1945, on ne reparle plus du sujet dans le contexte franco-français (Maroc français vs Algérie française). Les esprits sont occupés par le projet de l’indépendance des deux côtés de la frontière (frontière qui n’existe pas puisqu’elle n’est ni tracée, ni reconnue par qui que ce soit).
Le Maroc s’émancipe en 1956, l’Algérie en 1962. Le Maroc demande Tindouf à son voisin ainsi que Béchar, une autre localité des confins algéro-marocains annexée manu militari par la France à sa colonie au XIX° siècle. Refus des Algériens. On « en arrive aux mains », c’est la guerre des sables en 1963 qui n’aboutit à rien de concret : Tindouf et Béchar restent en dehors de l’orbite du Maroc.
Le problème se complique après le retrait espagnol de l’immense territoire qu’elle occupait au sud du Maroc et au nord de la Mauritanie. Les Marocains appellent ce territoire le Sahara Marocain, la communauté internationale parle de Sahara Occidental. Peu importe, l’essentiel est que toute la région entretient depuis toujours des liens d’allégeance avec le Sultan du Maroc. Allégeance ne veut pas dire obéissance. Personne n’a réussi à apprendre aux tribus nomades à obéir. Au mieux, elles payent le tribut et s’abstiennent d’attaquer les fonctionnaires du Sultan. En réalité, personne n’a intérêt à adoucir leurs mœurs. Bien au contraire, quand le Sultan est fort, il utilise les tribus comme des forces supplétives, féroces et sans pitié. Elles servent de garde-frontières vivants, avec femmes, enfants et chameaux. Nul besoin de poser des piquets ou d’édifier des fortins, il suffit de déléguer aux nomades le soin de terroriser les voyageurs et les égarés.
L’Algérie, elle, n’a aucun argument à avancer, à part que Tindouf lui a été donné en cadeau par la France, tout comme l’intégralité de son sahara. Maigre comme argument, vous ne trouvez pas ?
Aujourd’hui, Tindouf est la base de repli du POLISARIO, une guérilla armée et sponsorisée par l’Algérie et jadis par la Libye aussi. La ville demeure lugubre et désolée. La malédiction des innocents pèse toujours sur elle…
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